L’expérience électorale Sénégalaise : quels enseignements pour les élections maliennes de 2013

Dr Semou NDIAYE, Enseignant-chercheur à l’UCAD/ Membre du CERAG, Communication au Forum multi acteurs Mali

Si la démocratie ne peut être réduite aux élections, ces dernières en constituent une composante essentielle voire une condition sine qua non. Les élections constituent, en effet, la source de légitimité de pouvoir et à ce titre un des socles de la cohésion sociale. Bachir Ben YAHMED faisait observer à cet égard que les élections sont à la paix ce que le sel est à la cuisine c’est-à-dire un ingrédient nécessaire . Dans le contexte actuel marqué par un concept en vogue la gouvernance l’importance des élections tient au fait qu’elles constituent un mécanisme de reddition des comptes, les élus devant à cette occasion rendre compte de leur gestion aux citoyens.

Le Sénégal est souvent cité comme une vitrine de la démocratie en Afrique. Cette situation est le résultat d’un héritage colonial mais surtout de l’amélioration continue du système électoral au gré des crises politiques et électorales.

Le Sénégal peut se prévaloir d’une expérience électorale plus que centenaire. En effet, les premières compétitions électorales remontent au mois d’octobre 1848 avec le choix du député représentant la colonie à l’Assemblée nationale française. Cependant jusqu’en 1946, le collège électoral se limitait aux ressortissants des quatre (4) communes de plein exercice à savoir Saint louis, Gorée, Dakar et Rufisque.

Cet héritage sera conservé au lendemain des indépendances. Force est cependant de constater que jusqu’en 1978, il ne s’agissait pas d’élections réellement concurrentielles car elles se déroulaient dans le cadre d’un système monopartisan de fait bien que la Constitution de 1963 se donnait pour ambition de promouvoir le pluralisme. La raison réside dans le fait qu’aucune loi ne sera adoptée pour déterminer les conditions de création et d’exercice des partis politiques jusqu’en 1975.

Il a fallu donc attendre l’ouverture démocratique avec l’instauration du multipartisme d’abord limité en 1974 puis illimité à partir de 1981 pour que les élections deviennent réellement compétitives.

Mais malgré cette ouverture démocratique, les conditions de transparence et de sincérité des scrutins étaient loin d’être réunies. Les anecdotes ne manquent pas pour signifier que les élections étaient truquées. En effet, les résultats de certains bureaux de vote étaient déjà diffusés par les médias d’Etat alors que le dépouillement n’était pas terminé ou alors au moment de l’acheminement des procès verbaux. La violence était une donnée ainsi permanente des élections au Sénégal. Le pic des violences sera atteint lors de l’élection présidentielle de 1988 avec l’instauration de l’état d’urgence à Dakar. La gravité de la situation va cependant convaincre le Président Abdou Diouf de la nécessité d’engager un dialogue politique avec l’opposition. Ce dialogue aboutira à l’adoption d’un code électoral consensuel en 1992 . A l’épreuve de la pratique, le Code consensuel avait montré ses limites, le consensus comme mode de décision ayant donné lieu à des blocages notamment au sein de la Commission nationale de recensement des votes. La crise née de cette situation fut douloureuse car elle fut marquée par la démission du Juge Kéba Mbaye Président du Conseil constitutionnel et l’assassinat du Vice Président Me Babacar Sèye

Le Code sera encore une fois modifié pour surmonter cette situation. Mais ce sont les conditions catastrophiques de l’organisation des élections municipales en 1996 qui vont précipiter la réforme du système électoral.

Deux innovations majeures seront introduites pour améliorer le système électoral. Il s’agit de la création d’une Direction générale des élections rattachée au ministère de l’intérieur et de la mise en place de l’ONEL. La création de la Direction générale des élections avait pour objectif d’améliorer l’organisation matérielle des élections. Quant à l’ONEL sa mise en place procédait du souci de transparence et de crédibilité des scrutins.

Ces réformes ont été décisives pour la pacification de l’espace électoral au Sénégal. En 1998 on a ainsi assisté à des élections législatives sans aucune contestation. Deux ans plus tard précisément en 2000, l’élection présidentielle aboutit à la première alternance politique au Sénégal. Une partie de l’opposition continuait cependant à réclamer une commission électorale indépendante bien que l’ONEL ait fait ses preuves. Une Commission cellulaire sera instituée et ses travaux débouchèrent sur la création de la CENA . A la différence de l’ONEL, la CENA a une existence permanente et est dotée de pouvoirs plus importants. En dehors de la CENA deux autres mesures importantes ont été prises à savoir la refonte du fichier et la confection de cartes d’électeur et d’identité nationale numérisées.

La survenance de l’alternance avait fini de faire croire que le Sénégal avait tourné définitivement la page des élections contestées. Cette conviction sera infirmée lors de l’élection présidentielle de 2007 avec la contestation de la réélection du Président Wade. Les élections législatives de la même année seront boycottées par l’opposition dite significative motif pris de ce que le Président Wade avait construit sa victoire sur la base d’un fichier non fiable.

Les élections locales de 2009 qui ont vu l’opposition remporter les villes les importantes du pays notamment la capitale Dakar semblaient infirmer une telle assertion. Malgré le succès enregistré lors de ces élections, l’opposition n’avait de cesse de pointer du doigt la fiabilité du fichier et de demander son audit.

Finalement le Président Wade accéda à cette requête sans doute pour que l’opposition reconnaisse en retour sa légitimité. C’est ainsi qu’avec le soutien financier de l’USAID et de l’Ambassade d’Allemagne à Dakar, une mission d’audit du fichier sera mise en place. L’audit du fichier sera mis à profit pour améliorer le code électoral. Cette mission composée d’experts indépendants formula des recommandations portant non seulement sur le fichier mais également sur le processus électoral d’une manière générale.

Un Comité de veille et de suivi sera institué pour la mise en œuvre des recommandations de la mission d’audit. Ce comité présidé par un membre de la société civile regroupe des membres de la classe politique, de la société civile et de l’Administration notamment des agents du Ministère de l’Intérieur.

Les travaux de ce Comité ont permis une nouvelle révision consensuelle du Code électoral.

Une autre réforme majeure en direction des élections de 2012 a été l’adoption de la loi sur la parité concernant les institutions électives.

Le processus électoral de 2012 était ainsi bien lancé mais la contestation de la légalité de la candidature du Président Wade allait peser comme une hypothèque sur l’élection présidentielle de 2012.

La tentative de révision constitutionnelle visant l’institution d’un ticket pour l’élection présidentielle va constituer un facteur déclencheur de la violence électorale. Il faut rappeler qu’elle fut précédée par ce qu’on appela les émeutes de l’électricité consécutives aux délestages intempestifs et répétitifs.

La validation par le Conseil constitutionnel de la candidature du Président Wade rendit la campagne électorale particulièrement violente. En dépit des médiations entreprises, la tenue de l’élection présidentielle était incertaine jusqu’à la veille du scrutin. Mais plus de peur que de mal serait on tenté de dire, car le scrutin s’est finalement déroulé dans les conditions les plus transparentes et dans un climat apaisé. Cette situation tient à deux facteurs essentiels : la parfaite organisation du scrutin et la maturité dont l’électorat a fait montre.

L’évolution du système électoral sénégalais a été parfois chaotique mais les acteurs ont pu toujours surmonter par le dialogue les crises.

Le système électoral sénégalais tout en étant encore susceptible d’amélioration permet l’organisation d’élections libres et transparentes avec des résultats crédibles. Il apparait dès lors légitime de l’interroger pour en tirer des enseignements fort utiles pour les élections maliennes de 2013. Conformément aux TDR de cette communication, l’analyse explore les enseignements de l’expérience sénégalaise :

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