By SECK, Mamour (Dakar, August 2008)
Le Sénégal et le Gabon ont toujours entretenu de solides relations héritées de l’administration coloniale française. Les deux pays ont d’ailleurs signé plusieurs accords d’intérêt mutuel, notamment l’accord de coopération du 4 septembre 1972 en matière de personnels dans diverses branches d’activités : maçons, charpentiers, pêcheurs, bijoutiers, enseignants, etc. C’est ainsi qu’une importante colonie sénégalaise s’est installée au Gabon, constituant en quelque sorte une société sénégalaise en miniature. En son sein, quelque six cent enseignants (600) servaient en 2000 à tous les niveaux du système éducatif gabonais. C’est principalement cette frange de la diaspora sénégalaise qui animait les partis politiques presque tous représentés en terre gabonaise.
Pour rappel, l’année 2000 fut une année électorale au Sénégal et les Sénégalais de l’Extérieur, à la faveur du nouveau code électoral, avaient désormais la possibilité de voter au Gabon.
Donc, le 19 mars 2000 au second tour de la présidentielle, les Sénégalais devaient départager Abdou Diouf, candidat à sa propre succession et Abdoulaye Wade, éternel opposant soutenu par une forte coalition( Front pour l’Alternance). Dès le lendemain, le candidat Diouf présenta sportivement ses félicitations à son adversaire Wade ; ce dernier fut élu président après plus d’un quart de siècle de conquête légitime du pouvoir. Et comme une traînée de poudre, la nouvelle suscita une joie indescriptible ! C’était comme une hystérie collective qui gagnait même les autres ressortissants africains. Enthousiastes, les Sénégalais du Gabon, toutes tendances politiques confondues, décidèrent d’organiser une « fête »en y conviant des officiels gabonais, des représentants diplomatiques de quelques pays, notamment africains et la presse plurielle. La cérémonie se déroula le 25 mars 2000 dans les locaux annexes de l’hôtel de ville de Libreville, capitale du Gabon. Seuls l’ambassadeur Caba et les partis politiques coalisés devaient prononcer des discours. Ce qui ne m’empêcha pas, en ma qualité de citoyen n’appartenant à aucun parti, de griffonner furtivement un message que les partis politiques jugèrent pertinent mais préférèrent en garder des copies. Pour eux, il ne fallait pas gâcher la partie avec des analyses touchant à la constitution.
Après avoir magnifié le déroulement du vote (j’étais président du bureau de vote témoin représentatif du Sénégal en échantillon), le message inédit ou « censuré » se poursuivait ainsi :
« …(…)..Aujourd’hui, tous ont une raison d’espérer !
Cependant, poussés par une telle euphorie, il nous faut éviter de tomber dans une autosatisfaction. En effet, cette victoire, me semble t-il, ne sera parachevée qu’à une double condition.
La condition nécessaire est d’amener, sans tarder, l’immense majorité des Sénégalais à se remobiliser avec la future équipe pour relever maints défis et surtout à se préparer à voter aux prochaines consultations inévitables aux côtés des forces du changement. Il n’est pas superflu de rappeler que notre Constitution révisée presque tous les deux(2) ans au gré des humeurs et des intérêts personnels ne nous épargnera pas une consultation référendaire. Pour une constitution plus démocratique, moins présidentialiste permettant aux acteurs d’appliquer les réformes tant souhaités.
La condition suffisante est l’engagement sincère (serment) que doivent prendre solennellement et la future majorité et tous les partis sans exclusive afin d’en finir définitivement avec toutes les pratiques généralisées de mal gouvernance. A cet égard, la nouvelle constitution devra puiser sa sève des racines du Sénégal profond, du grand nombre et avant sa rédaction. Pour une réelle appropriation par le peuple souverain.
C’est seulement et seulement à ce prix que nous ferons de notre cher Sénégal une terre où enfin la condition des masses rurales et urbaines sera digne de l’homme. »
Que dire de ces propos ? Sont-ils prémonitoires à l’épreuve de l’exercice du pouvoir dit de l’alternance ?
L’an 2001 fut marqué par la massive approbation, lors du référendum du 7 janvier, de l’actuelle constitution « rédigée de façon consensuelle »par l’élite politico- intellectuelle. Mais, aujourd’hui la classe politique oppositionnelle regroupée en une coalition dénommée « front siggil Sénégal » et la Société civile en général ne cessent de dénoncer les tripatouillages de ladite constitution par la majorité. Et de 2001 à ce jour, elle a été révisée dix (10) fois, soit en moyenne une (1) révision tous les neuf (9) mois !
A ce propos, le dimanche 27 juillet dernier, je rencontrai un ancien ami de Libreville. Il afficha un empressement de connaître l’issue de la présupposée confrontation aux abords de l’Assemblée nationale. Car, l’opposition avait fait un appel du pied à la population pour manifester sa vive désapprobation à l’examen par les députés du projet de modification portant sur « l’alinéa premier de l’Article 27 »de la constitution promulguée le 22 janvier2001. Pour cette opposition, cette révision ne peut se faire que par voie référendaire.
Contrairement à lui, je ne pouvais imaginer de foule, car pour le Sénégalais moyen, les préoccupations étaient d’une autre nature. Pour eux, ce débat n’intéresse qu’une faible minorité.Et le lendemain, lundi 28 juillet, rien ne vint troubler le travail des députés ; la petite manifestation tourna court. Seuls deux manifestants furent interpellés puis relâchés. Le Sénégal réel empêtré dans des problèmes de survie (gaz, riz, énergie, etc.) ne semble guère s’approprier les bases de l’éthique constitutionnelle. Pour eux, la démocratie n’est-elle pas un luxe, d’autant que les discussions tournent autour des idéaux exprimés en français ?
La foi aveugle des amis de Libreville en un homme, quoique bien élu, et en la marche irrésistible du Sénégal vers une démocratie majeure vole, aujourd’hui, en éclat eu égard aux manipulations actuelles de la charte fondamentale, à la non-tenue des élections à dates échues, au subtil remplacement des élus locaux par des personnes inféodées au pouvoir, à des prorogations en série des mandats des élus du peuple par la volonté d’une seule personne, au découpage non désintéressé du territoire administratif, etc.
Autant de raisons pour dire que le Sénégal, malgré son riche passé en la matière, n’est pas à l’abri d’un retour à la case départ. Dès lors, la classe politique se doit de balayer ces obstacles émotionnels et autres tares afin de faire un diagnostic sans complaisance des situations politiques et de notre société.
Certes, la démocratie est la forme de gouvernement la moins mauvaise. Mais nous gagnerions mieux à créer par nous- mêmes et pour nous-mêmes et avec les nôtres au lieu de rester à calquer purement et simplement les institutions et constitutions des anciennes puissances tutrices. Par contre, il faut y voir des modèles de constitutions et non des constitutions modèles. Le respect des institutions et la stricte application de la constitution en dépendent : pas de changement des règles du jeu au cours du jeu ! Force est de reconnaître que les chefs d’Etats africains, en général, ne sont pas en mesure de concevoir l’existence d’un groupe de personnes qui puisse exercer une parcelle de pouvoir qui leur échappe. A la moindre incartade la constitution leur sert de levier.
Aussi, convient-il de mettre fin aux décisions solitaires des dirigeants et surtout aux subterfuges exercés sur les gouvernés. Les populations entendent participer au processus de prise de décision concernant la gestion et le destin de leur communauté nationale (réelle décentralisation), aucun dirigeant sénégalais des temps modernes n’a jusqu’ici reçu le pouvoir en héritage ni de son père ni de sa mère.
Front siggil Sénégal, expression wolof qui signifie littéralement front pour redresser le sénégal, faire du Sénégal un pays debout.