L’exemple du Conseil Rural de Kayemor
By BADIANE, Babacar (Kayemor, August 2008)
Au Sénégal, le principe de confier aux communautés de base la gestion de leurs propres affaires est affirmé avec la réforme de 1972. C’est ainsi que la localité de Kayemor est érigée en communauté rurale en 1974. Elle se trouve dans la région de Kaolack, dans le département de Nioro du Rip et dans l’arrondissement de Médina Sabakh. Elle compte 23 villages.
En 1974, le Conseil Rural de Kayemor (organe délibérant de la communauté rurale composé de 32 conseillers) ne comptait que des hommes du 3e âge nommés sur la base de leur puissance économique ou de leur notoriété religieuse ou spirituelle.
Durant 22 ans (de 1974 à 1996) le Conseil Rural avait à sa tête un vieux analphabète à toutes les langues. Les conseillers ruraux ne se réunissaient que pour le vote du budget ou sur convocation de l’autorité administrative.
Malgré la promulgation de deux lois à savoir la loi 90 – 37 du 8 octobre 1990, qui se propose de renforcer les pouvoirs des conseillers ruraux et la loi 96 – 07 du 22 mars 1996 portant transfert des compétences aux régions, communes et communautés rurales, le Conseil Rural est resté inactif aux attentes des populations.
Ces réformes ont poussé quelques jeunes (âgés de moins de 30 ans) à s’investir dans la politique pour accéder au Conseil Rural. C’est ainsi qu’en 1996, pour la première fois 6 jeunes et 4 femmes sont élus au conseil rural qui pour la première fois est dirigé par un jeune.
Le Conseil Rural a enregistré l’entrée remarquable d’une jeunesse qui manifeste un besoin réel d’apporter sa dose de créativité à la vie de la communauté rurale. Cette jeunesse cohabite avec des notables tirant leur légitimité de leur puissance économique ou de leur notoriété religieuse. Les jeunes pensaient que les vieux sont incompétents et les vieux pensaient que le conseil Rural était leur patrimoine. Cette mauvaise cohabitation entre jeunes conseillers et vieux conseillers a favorisé des blocages dus à un manque de formation car Kayemor est resté deux ans sans voter son budget. Ce deficit de formation des conseillers a empêché la conception et la prise en charge des politiques censées améliorer les conditions de vie des populations.
En 1998 Kayemor a noué des relations de partenariat avec la coopération autrichienne particulièrement avec l’Institut pour la Coopération Internationale (I.I.Z) sur un programme de renforcement institutionnel de la communauté rurale qui avait comme défi majeur l’émergence d’organisations locales fortes capables de promouvoir une bonne gouvernance de la communauté rurale. Après les rencontres de prise de contact, un diagnostic consensuel a favorisé une rencontre en vraie grandeur avec les dépositaires d’enjeux (conseillers ruraux, chefs de villages, leaders d’opinion). Ce qui a permis de s’accorder sur l’urgence d’entreprendre collectivement un programme à la mesure des enjeux de l’heure. Je me plais d’évoquer cette histoire que j’ai vécue en direct en tant que jeune non membre des instances, mais soucieux de prendre une part active à la construction d’un développement qui s’appuie sur la diversité des points de vue. Il conviendrait de préciser que, depuis 1998, je suis la mémoire de toutes les rencontres qui ont été organisées dans la communauté rurale de Kayemor
Les formations ont démarré sur plusieurs thèmes et le suivi est assuré par un groupe choisi au sein du Conseil Rural, le GET (Groupe d’Exécution Technique). Ce groupe accouché dans la douleur était composé de cinq jeunes (3 choisis dans une tendance du parti socialiste animée par le président du Conseil rural et deux dans l’autre tendance du même parti socialiste animée par son rival. Il était alors retenu pour des raisons exclusivement politiques qu’après une année de fonctionnement du GET, il serait procédé à un renouvellement de son effectif.
Mais il fallait compter avec les formations reçues par ce groupe, des formations qui avaient véritablement commencé à produire des effets dans le fonctionnement du Conseil Rural. Le jour du renouvellement, les animateurs toutes tendances confondues ont présenté sur des supports hautement participatifs la totalité des activités réalisées et des résultats enregistrés. Cette technique n’a pas manqué d’influencer les conseillers ruraux qui se sont engagés à taire leurs divergences du moins pour tout ce qui touche à la réalisation des programmes de développement et à un éventuel renouvellement du GET. Il a été simplement demandé au groupe de continuer son travail.
Ainsi lentement mais sûrement, les vieux se rendaient à l’évidence de leurs limites objectives à conduire des programmes dont ils reconnaissent les exigences en termes de présence et de mobilisation. Par cet accès de la formation aux jeunes, la communauté rurale de Kayemor a sensiblement contribué à décloisonner le savoir, à éviter une certaine confiscation du pouvoir par les mêmes catégories de personnes qui ont depuis les indépendances imposé leurs points de vues et leurs lois.
Force est de reconnaître que le caractère participatif des formations jusqu’ici menées a permis une préparation substantielle de larges couches de la population potentiellement éligible comme conseiller rural. Il se configure ainsi un contre-pouvoir, prêt éventuellement à assurer la relève et à éviter une certaine redondance de la programmation de certaines actions de formation.
Ces aspects n’ont pas manqué d’influencer les partis politiques à faire de bonnes propositions d’investiture lors des élections rurales de 2002. On comprend alors aisément pourquoi 20 jeunes soient devenus conseillers en 2002. Donc majoritaires dans le conseil rural.
Au regard de cette expérience, il apparaît que le volet formation des élus est prioritaire dans l’accompagnement de la décentralisation.
Le cas de Kayemor a démontré que la formation a pu changer positivement les attitudes et comportements du conseil rural.
La prise de conscience des enjeux du développement a permis une dépolitisation des mentalités. Il serait aussi intéressant que les partis politiques s’inspirent de cette expérience dans le choix des candidats aux différentes élections.
La communauté rurale est une collectivité locale, dotée de l’autonomie financière. Elle est constituée par un certain nombre de villages appartenant au même terroir, unis par une solidarité.