L’exemple de la non - prise en charge dans un cas d’accident civil
By FAYE, Marie (Nioro du Rip, September 2008)
Il y a 10 ans, j’avais loué une partie de ma maison à un commerçant qui en avait fait une boutique. Un jour, ce boutiquier dormait avec son jeune frère et vers les coups de 4 heures du matin, le vendeur de pain est venu cogner à sa porte pour sa livraison quotidienne. Le boutiquier, dans son sommeil, se réveilla brusquement. Croyait-il qu’il s’agissait de voleurs ou était- il emporté par ses rêves ? En tout cas, muni de son fusil, il assena des coups dans sa propre bouche au lieu de tirer d’où venaient les bruits. Ainsi, les balles lui ont sectionné partiellement la langue et quelques morceaux se sont trouvés logés dans son œsophage.
Arrivé dare- dare à l’hôpital de Nioro, les faits ont été relatés à la gendarmerie qui s’est empressée de se saisir de l’affaire. L’infirmier de garde n’a trouvé mieux que de nettoyer la bouche et d’appliquer quelques soins à la langue puis le blessé a été hospitalisé. Le malade ne cessait de se tordre de douleur insupportable et se montrait très agité.
Aussitôt après avoir appris la nouvelle, je me suis rendue à l’hôpital où j’ai trouvé le patient qui m’a fait comprendre que s’il passait la journée dans cet état il allait mourir. C’est ainsi que je suis allée voir le médecin qui m’a fait comprendre qu’il avait confiance en son infirmier et qu’il ne pouvait pas répondre à mes multiples questions. Mon souci était de savoir si les balles étaient sorties ou avalées. Je lui ai dit finalement que le malade voudrait être évacué à Kaolack, chef-lieu de région. Aussitôt dit, aussitôt établi le bulletin d’évacuation, mais le problème restait entier car, l’ambulance était en panne. Pour ne pas perdre de temps, nous sommes allés à la gare routière pour louer un taxi à 20 000 F CFA.
Arrivé à Kaolack, avec l’aide d’un promotionnaire, on a finalement réussi à radiographier l’œsophage qui a révélé que les balles étaient effectivement restées à l’intérieur de l’organisme. Le médecin a établi un autre bulletin d’évacuation pour l’hôpital principal de Dakar, seul en mesure d’extraire les balles. Entre temps, on avait jugé nécessaire d’appeler le frère du malade qui était en Italie pour subvenir à la prise en charge. Heureusement, ce dernier a envoyé la somme s’élevant à un million de francs CFA.
Finalement, le patient a fait 3 mois 15 jours à l’hôpital principal de Dakar. Il a été sauvé mais il traîne encore des séquelles. En effet, ses cordes vocales sont endommagées, il ne peut plus parler distinctement. Il est devenu quasi aphone.
Cette expérience fait apparaître au grand jour les carences qui sont fréquentes dans les services de santé publique du Sénégal, notamment en milieu rural ou semi- urbain :
négligence, voire absence de prise en charge quant aux cas accidentels ;
non-respect des règles de déontologie ;
négligence coupable, en l’espèce, aussi bien de l’infirmier que du médecin ;
absence notoire de moyens logistiques au niveau de Nioro.
Faute de soutien familial, il est évident que le patient n’allait pas avoir la vie sauve. Ce qui montre, à l’évidence que le service public est en train de se muer en service privé déguisé.
Par ailleurs, le rapport de la gendarmerie a été classé sans suite. Aucun fonctionnaire n’est sanctionné dans de pareils cas ; la règle, c’est l’impunité. D’autant que l’état en premier chef, à travers ses représentants, est conscient de ses manquements en la matière.