Les obstacles rencontrés par un délégué de quartier imposé par l’administration municipale
By SECK, Mamour (Nioro du Rip, December 2008)
Dans le Sénégal colonial, les chefs de canton et les chefs de village assistaient les fonctionnaires coloniaux, notamment dans le recensement et la collecte des impôts. De l’avènement de l’indépendance en 1960 aux années 1965, ces fonctions étaient dévolues aux personnalités coutumières qui jouissaient de réelles légitimités (appartenance à une lignée détenant un certain droit historique de commandement, guide moral, compétences religieuses, bonne vie et mœurs, etc.). Pendant cette période, le sieur M. Nd. B. accéda de manière consensuelle au poste de « Chef d’escale » (toute l’agglomération de Nioro devenue commune). Pour élargir sa base sociale et créer les conditions d’une gestion consensuelle et inclusive, il s’était toujours entouré de quelques personnalités choisies en fonction de leur notoriété incontestée dans les différents « carrés » scellés par l’histoire et la géographie locales.
Et ce n’est qu’en 1965 qu’un décret fixa le statut plus adapté au nouveau contexte du délégué de quartier et organisa les communes en quartiers selon des critères précis (démographie, mode de création, profil du délégué de quartier). C’est ainsi que le sieur précité était devenu délégué du grand quartier Nord de la commune, poste qu’il occupa jusqu’à sa disparition en 1981. Entre-temps, en stratège, il eut la vision d’initier pendant longtemps un de ses fils M. K. B. à la gestion des affaires administratives et communales et aux questions de fiscalité et d’hygiène environnementale. Si bien que les autorités municipales et les populations concernées n’eurent aucune difficulté à le nommer au poste jusqu’ici occupé par le défunt père. En somme, une sorte de plébiscite car, au regard de la tradition, le nouveau « chef » désigné était censé hériter de certaines fonctions spirituelles et de gouvernance locale.
Vers les années 1990, le quartier Nord fut restructuré et scindé en deux nouvelles entités : le quartier Médina dirigé par M.K. B. et celui dénommé Diamaguène dirigé par B. S. , un novice certes remplissant les critères objectifs mais moins connu du public local. En principe, en application des textes législatifs et réglementaires modifiés et complétés par la suite, la création d’un quartier est du ressort du conseil municipal, suite à une délibération dûment motivée et sous réserve de l’approbation de l’autorité de tutelle. Mais, de fait, la création reste souvent dictée par des considérations plutôt partisanes. Mais une légitimité ne peut être décidée d’en haut. En tout cas, le nouveau délégué de quartier ne tarda pas à l’apprendre à ses dépens.
En effet, il a eu toutes les peines du monde à s’imposer comme délégué de quartier, notamment dans le recouvrement d’impôt, en sa qualité de collecteur légal secondaire de l’impôt du minimum fiscal secondaire quatrième catégorie en application des dispositions pertinentes des textes qui le régissent. Et quand bien même il les maîtriserait ! Il s’en est tellement offusqué d’autant plus que bon nombre de la population imposable se tourne plutôt vers son homologue M.K. B. pour s’acquitter du versement de l’impôt. Ce qui constitue un manque à gagner dans la mesure où il doit statutairement percevoir une rémunération correspondant à 7% du montant des recouvrements qu’il aura réalisés. Fort de ce constat, il décide d’en référer à ce dernier. Heureusement, après avis et conseils recueillis auprès du grand frère de son homologue et de surcroît un des imams de la grande mosquée de Nioro, il expose la question non pas sous forme d’une exigence frontale mais sous forme d’une doléance réfléchie et compréhensible. Mieux, il lui a même demandé de continuer à collecter comme par procuration, quitte à lui remettre les sommes collectées au fur et à mesure des dépôts des contribuables. C’est ainsi que, peu à peu, les réticences affichées par les populations se sont estompées et le recouvrement s’est effectué par la suite sans anicroche. Ce qui, au bout du compte, a permis au nouveau délégué de quartier d’engranger une audience auprès des contribuables. Sans pour autant diminuer la notoriété traditionnelle de l’ancien chef de quartier M. K. B.
Cette expérience montre qu’il y a eu des maladresses dans le choix du délégué de quartier et à deux niveaux. D’abord, l’autorité municipale devrait tenir compte des réalités sociologiques locales quant au degré d’ancrage du citoyen dans les normes d’enracinement et de légitimité historique. Par ailleurs, l’autorité exécutive, avant de faire valider le choix des élus locaux devrait faire une enquête de proximité concernant le nouveau promu au poste de délégué de quartier.
La désignation du délégué de quartier a-t-elle été une initiative des populations elles-mêmes ? Si non, a- t-elle fait l’objet d’une décision largement partagée ? Le nouveau morcellement des quartiers obéit-il aux réelles préoccupations des populations concernées ?
Autant de questions que suscite le souci d’une bonne gouvernance ?
Autrement dit, il ne suffit pas d’appliquer des textes, en matière de gouvernance locale, sans tenir compte des spécificités locales que ne sauraient prévoir des dispositions si pertinentes soient-elles. Certes, le nouveau délégué de quartier a des liens de parenté solides dans la localité, notamment au sein de la confrérie mouride mais la relative brève durée de cohabitation avec la population avait – elle déjà permis d’assumer une telle fonction ? Et c’est là que les considérations de clientélisme et de favoritisme constituent de réels obstacles dans la gestation d’un développement endogène et d’une gestion partagée. Et « l’arrangement consensuel » des acteurs a fort heureusement servi de levain à légitimer la légalité incarnée par le délégué B. S. D’où nécessité de faire un plaidoyer pour l’émergence d’une véritable identité citoyenne devant remplacer l’impossible démocratie des partis ou l’impossible démocratie clanique. Pour ce faire, il faudra intégrer le passé et l’avenir par la conscience historique et ne pas se fixer sur le présent seul souvent caractérisé par un cortège d’intérêts bassement matériels.
Interviews effectuées auprès des acteurs sociaux : les intéressés