By KONE, Djigui (2003)
Depuis longtemps, et sans jamais le percevoir jusqu’à la mise en place des structures parlementaires, on s’interrogeait de savoir comment les acteurs du jeu politique malien pouvaient - ils s’accorder sur une démocratie sans opposition. Pourtant, c’est la réalité de la démocratie malienne: l’Institution parlementaire, après moult tergiversations, a fait éclater au grand jour son caractère inédit en ne laissant aucune place à l’opposition. Pourtant, c’est maintenant effectif, la troisième législature de l’ère démocratique est bien partie pour cinq bonnes années sans que ne soient forgées les balises d’une opposition parlementaire.
La démocratie, on l’a expliqué en maintes occasions, est forcement la gestion des rapports de force . Elle repose, sous tous les cieux, sur des valeurs qui fondent l’universalité de sa pratique et de son ancrage au sein de la population. L’originalité du processus démocratique, si elle est de plus en plus en vigueur dans certains pays comme le notre, ne saurait détruire son substrat politique au risque de sombrer dans un conformisme de mauvais aloi détruisant la charpente du système politique. D’où vient cette innovation démocratique ?
Après la mise en place du bureau de l’Assemblée Nationale, les députés ont fait miroité l’esprit consensuel, ayant prévalu au cours des négociations, pour réussir une configuration du parlement qui fait place à tout le monde. Certains d’entre eux, se réjouissant de cette unanimité, ont publiquement affirmé qu’il n’y a pas d’opposition au sein de l’institution parlementaire. Certains parlementaires feront même appel aux constitutionnalistes et autres politologues avérés pour se pencher sur l’expérience démocratique malienne dont les traits dominant ne s’analysent objectivement, selon eux, que sous l’aune des innovations tant dans les principes que dans la démarche.
Des députés de la majorité sortante, après avoir rappelé les principes de base de la coalition ARD, ce sont inscrits dans la logique d’un soutien en faveur du nouveau politique de la République en positionnant ainsi, le regroupement de l’ARD, qui a joué et perdu lors des dernières batailles électorales, opérait alors l’un de ces virages spectaculaires qui brouillent toutes les pistes en matière du jeu politique. La peur de l’opposition s’installe donc dans le camp de l’ancien pouvoir qui ne manque pourtant pas de piquants pour animer une opposition résolue et déterminée au seul profit de l’avancée démocratique
En fait, l’ARD était, avec son grand rival de Espoir 2002, les deux géants de la scène politique à partir desquels la majorité et l’opposition parlementaires devraient être régentées. En tout cas, les deux grands rivaux de la scène politique se sont jetés à corps perdus dans la bataille électorale pour ce défi politique.
D’ailleurs, avant même les joutes des législatives, les représentants des deux blocs politiques, auprès de l’opinion publique, s’étaient clairement positionnés comme éventuels vainqueurs d’une majorité parlementaire pouvant soutenir les actions du Général-président, laquelle majorité devait être conçue après les législatives. On l’a vu, les responsables des deux blocs, après le résultat du scrutin législatif, se sont engagés, avec leur poids réel, dans un duel à mort pour la constitution de cette majorité parlementaire.
Dans ce contexte politique tourmenté, les deux géants, avec des fortunes différentes, ont littéralement pris d’assaut le front national pour la conquête du nombre de sièges requis pour le leadership parlementaire. Dans ce jeu de ping-pong politique, les amis du Président de la République le Général ATT, pourtant engager à doter leur idole d’une majorité confortable, ont également joué à l’expectative jusqu’au pourrissement des tractations. En réalité, les proches du nouveau Président de la République, loin de composer sur le fait majoritaire, dans leur logique de forger une majorité stable pour le Président, ont lourdement pesé sur le contexte politique dans le dessein d’obscurcir l’horizon des tractations politiques d’autant que les deux grands partis étaient à eux seuls incapables de constituer la force dominante au sein de l’hémicycle.
Certes, le fait majoritaire était à la faveur du regroupement de partis Espoir 2002, arrivé en tête du scrutin, mais il ne pouvait valablement se détacher du lot qu’avec l’apport des amis du Président qui, malgré une piètre prestation électorale, gardaient néanmoins intacte leur chance d’arbitre du jeu après le résultat du scrutin législatif. Le groupe Espoir 2002, qui comptait pourtant faire cavalier avec ces derniers, pour s’être décidé à voter pour le grand vainqueur des présidentielles, a très vite déchanté de ses intentions politiques : le soutien des deux entités politiques au Général ATT, même doublé du fait majoritaire à la faveur de Espoir 2002, n’était pas suffisant pour constituer une majorité digne de ce nom au service de la démocratie.
Le jeu politique est ainsi fait avec un Chef de l’Etat qui ne manque pas de mettre en avant son désir de rassembler tout le monde dans le même sac. ATT comptait, il l’a dit en maintes occasions, gérer le pays avec la majorité qui sortira des urnes. La photographie électorale n’ayant pas reproduit ce schéma politique, le Président est retourné à ses premières amours : rassembler les maliens sans exclusion. La voie toute trouvée, nous-a-t-on confié, c’est de songer à un type de gouvernement d’ouverture renfermant toutes les nombreuses sensibilités politiques et sociales du pays. Le tout se passe ainsi comme si le scrutin législatif n’avait pas de portée politique.
A entendre les acteurs politiques, le Mali est sur la voie de l’inédit, celle de l’innovation démocratique. Une démocratie sans opposition car les politiques répugnent à s’opposer. L’embellie du discours politique est-elle un signe de vitalité démocratique ? Le consensus, ainsi mis en avant, n’est - il pas plutôt échec de l’esprit démocratique ?
En somme, cela ne constitue pas, pour l’instant, une préoccupation politique dans notre pays tant que les principes convenus, sur fond d’uniformité, est la règle du jeu. Pourvu que chacun y trouve son compte.
Dans la pratique du jeu républicain, comme on le voit dans toutes les démocraties, l’équilibre du jeu institutionnel est basé sur les deux mamelles de la démocratie, à savoir une majorité de gestion et une opposition parlementaire qui joue le rôle de sentinelle vigilante.
Beaucoup d’observateurs ne voient pas d’opposition au Président de la République, d’autant que tous ceux qui l’ont soutenu ou combattu aux présidentielles, ont affirmé être prêts à soutenir ses actions.
Néanmoins, ces observateurs avaient préconisés une opposition au sein de l’hémicycle après que celui-ci ait fini d’adopter ses structures. Aujourd’hui, on est loin de cette prévision : il n’y a d’opposition nulle part dans le champ politique malien. Les acteurs politiques ont voulu innover sans toutefois savoir là où conduira cette originalité.
Comme si le jeu démocratique se faisait à l’humeur et aux convenances !