By DIAW, Amadou (Nioro du Rip, September 2008)
La mosquée de la localité de Kayemor (département de Nioro au Sénégal) était, naguère située à un endroit paisible, loin des bruits pouvant perturber le recueillement des pratiquants de confession musulmane. Hors des heures de prière, aux alentours de ce haut lieu de culte, les femmes du village prenaient goût à vendre les biens de consommation courante : légumes, condiments de cuisine, nourriture, etc. Et peu à peu, un véritable marché s’est ainsi érigé avec des cantines, des étals, des tables, des boutiques de fortune, etc. Vu l’ampleur croissante des activités économiques, un grand hangar fut même construit pour abriter les femmes actives du village. De même beaucoup de boutiques furent aménagées pour les commerçants. Donc, le marché était devenu au fil du temps, un véritable carrefour des affaires avec son cortège de nuisances de toutes sortes : causeries, pollutions sonores, voire un lieu de rendez-vous pour une certaine frange de la société peu soucieuse de la morale musulmane. Mais comme ces activités sont antinomiques avec la mission de la mosquée, des voix autorisées commencèrent à se lever. Il fallait nécessairement délocaliser une des deux entités. Et il se trouve que, marqués par l’esprit de profit, certains commerçants n’entendaient point perdre leurs fonds de commerce. Il était difficile de les convaincre de quitter les lieux. De véritables groupes de pression s’étaient même constitués pour préserver le marché à l’état.
Par ailleurs, en raison du poids du fait religieux, personne n’osait penser à déplacer la mosquée. Il s’y ajoutait un besoin impérieux d’agrandir cette mosquée en raison de l’accroissement de la population. Donc, un véritable dilemme pour les décideurs locaux.
C’est pourquoi, le Conseil Rural en tant qu’institution ayant pouvoir de démolir, suite à une délibération des conseillers et approbation du Sous Préfet, avait réellement mesuré les graves conséquences éventuelles : conflits fratricides, bagarres, mésentente entre familles.
Il se proposa alors de transmettre le dossier au « Penc » qui n’est pas une instance politique, alors que le Conseil rural est issu du suffrage des urnes mais, en réalité, guidé par des considérations plutôt partisanes. Pour rappel, Symbiose Sénégal, organisation d’appui au développement local basée à Nioro, s’est progressivement investie avec tous les acteurs sociaux locaux de 8 communautés rurales (Elus, groupements de femmes (GPF), associations villageoises, etc.) à réussir une structuration de l’organisation paysanne. Au niveau du village, les paysans forment un « Keppaar » au sein duquel toutes les décisions touchant à la vie du village sont prises collectivement, par le biais de la démarche participative. Le même procédé est répliqué au niveau plus large, à l’échelle de la communauté rurale, dans une structure similaire dénommée « Penc ». Là, les acteurs des différents villages ayant le même désir de vivre en commun procèdent, le cas échéant, à des plans d’actions, à même d’améliorer leur vécu quotidien et de se pencher sur tous les problèmes pouvant se présenter à eux. On ne pouvait donc trouver un cadre aussi approprié pour trancher une telle question.
Aussitôt décidé, aussitôt les animateurs du « Penc » rompus à la tâche s’évertuèrent à un travail de sensibilisation, de concertation, d’explications sur le bien-fondé du déplacement du marché et de l’extension de la mosquée. L’idée de moderniser le marché fut leur cheval de bataille : toilettes décentes, construction de grands magasins d’approvisionnement et de nombreuses cantines, etc. avec obligation de privilégier les anciens occupants, en cas d’attribution des locaux, une fois les travaux achevés.
Pour ce qui est de la mosquée, toutes les parties prenantes s’accordaient sur la nécessité de son extension. Et des appuis extérieurs ne faisaient pas défaut.
C’est ainsi que tout le monde s’était senti concerné et responsable des défis à relever. Et l’on pouvait alors ruminer dans les coulisses les scènes de violence qui auraient pu ébranler la quiétude des habitants de la localité.
Dans un contexte de rareté des moyens de subsistance, il est difficile à toute autorité, surtout une structure décentralisée rurale, de délocaliser tout de go un domaine à vocation publique comme un marché. Car, les enjeux sont énormes. D’autant plus que le Conseil rural, du fait de ses manques de moyens de tous ordres, n’est pas en mesure de dédommager les acteurs concernés à faire déguerpir. Donc, seule une décision consensuelle pouvait satisfaire les deux volets du problème : et le commercial et le religieux.
C’est pourquoi, « le Penc », organisation paysanne apolitique, constituée à la base, démocratique dans son essence, jouit d’une réelle légitimité pour faire face à ce genre de question sensible et d’intérêt communautaire. Cette expérience montre parfaitement l’importance d’une organisation largement partagée par les populations dans la résolution des problèmes sociaux, notamment ceux touchant au foncier et à la religion.
Conseil Rural : organe délibérant de la communauté rurale composé de 32 conseillers, élus lors d’élections locales
GPF : Groupement de promotion féminine locale, organisation de femmes à vocation économique