La mort programmée de l’imputation budgétaire des fonctionnaires ?
By SECK, Mamour (Nioro du Rip, April 2008)
L’Etat colonial, entres autres raisons, pour des motifs idéologiques et stratégiques s’évertuait à assurer autant que faire se peut les services de santé publique. Et, en particulier, la prise en charge quasi intégrale des fonctionnaires était la règle ; les populations rurales et urbaines sur présentation d’un certificat d’indigent bénéficiaient d’une couverture maladie. L’Etat postcolonial, particulièrement à ses débuts, s’est attelé à suivre peu ou prou la même voie en assurant un service public à la dimension de ses ambitions.
C’est ainsi que les agents de l’Etat- fonctionnaires et contractuels-, dès l’aube de l’indépendance, ont eu le « privilège » d’une couverture sociale pour la prise en charge partielle à hauteur de 80% des frais et soins médicaux et les coûts des hospitalisations, les médicaments étant à la charge du malade. Donc, une bonne partie est supportée par le budget de l’Etat (imputation budgétaire). Ce régime obligatoire concerne aussi les familles des ayants – droit (épouses, enfants mineurs).
Qu’en est-il aujourd’hui de l’application des textes législatifs et réglementaires en la matière ? Quelle est la portée pratique de ce mécanisme de contrat connu sous le vocable « imputation budgétaire » entre l’Etat et les établissements publics qui assurent les prestations de service de santé à ces agents de l’Etat ?
L’expérience qui suit en donne, en filigrane, une illustration dans un contexte de réforme hospitalière marqué par les coûts élevés de la santé et l’appât du gain généralisé.
Mon ami XXL, fonctionnaire de son état, se présente au Ministère des finances pour se faire délivrer un exemplaire dûment rempli de l’imputation budgétaire sur simple présentation de la carte professionnelle ou de la carte d’identité et de tout autre document nécessaire. Ensuite, il se dirige au service comptable de l’établissement public, Centre Hospitalier Universitaire National (CHUN) de Fann à Dakar pour les formalités de paiement d’une consultation au service ORL (oto-rhino-laryngologie). Il s’est ouvert au patient précédent qui lui apprend que le tarif de la consultation pour un non fonctionnaire (sans imputation budgétaire) s’élève à 2500F CFA. Fort de ces informations, mon brave ami, d’un geste anodin remet à l’agent comptable la somme de 500F accompagnée du fameux sésame d’imputation budgétaire. En effet, c’est la somme correspondant à la fraction normalement supportée par le fonctionnaire, soit le 1/5 ou les 20%. Mais, il est resté incapable de dissimuler son accès colérique quand son interlocuteur lui a signifié qu’il devait payer 2000F, au lieu des 500F servis. Donc presque autant que son prédécesseur, non fonctionnaire et de surcroît un commerçant. Au fait, l’ami XXL apprend à ses dépens que pour une imputation budgétaire, les hôpitaux ont commencé à fixer d’eux-mêmes un nouveau barème de tarification, soit 10 000 F pour ce genre de consultation. Deux poids, deux mesures ! Et comme si cela ne suffisait pas, il apprend même que maints établissements publics de santé de l’intérieur se réservaient le droit d’opposer une fin de recevoir à toute requête de patient muni d’une imputation budgétaire. Et pour cause, l’Etat peine à s’acquitter de sa quote - part des 80 % ; le cumul des impayés ne cessant de s’alourdir.
La mort dans l’âme, le pauvre ami regrette d’avoir déjà dépensé 2000F en frais de taxi à la quête du papier fétiche qui, à ses yeux est devenu papier mouchoir. En effet, il aurait été plus simple et moins onéreux de se présenter comme simple citoyen sans imputation budgétaire. D’autant plus que son domicile se situe à quelques encablures de l’hôpital. Aussi, lui était-il plus indiqué de s’y rendre, sans aucun frais de transport. Ainsi donc, il aurait gagné en temps et aurait épargné la somme de 1500F. En l’espèce, point d’ironie : une quantité non négligeable pour un modeste enseignant qui a en charge bon nombre de parents collatéraux restés au village.
Voilà la réalité sur le terrain. Sans aucune explication des autorités compétentes. Pourtant, les textes réglementaires sont restés inchangés en la matière !
Les établissements publics de santé ont pris là des initiatives unilatérales sans en référer aux ayants droit. Certes, la réforme hospitalière consacre dans une certaine mesure l’autonomie de ces établissements qui sont dotés de la personnalité juridique. Pour autant, cela n’autorise pas l’Etat à être indifférent aux violations des lois et règlements de la République. Même s’il est vrai que, dans un contexte néolibéral globalisé, la santé a un coût, il reste que la santé n’a pas de prix et les citoyens ont droit à un service public de santé performant.
S’il convenait de supprimer le traitement de faveur pour cette frange de travailleurs, à savoir 2,5% de la population du pays, cela devrait se faire sur des bases partagées et équitables. En tout état de cause, ce serait même contraire aux objectifs fixés par la politique de contractualisation dans le secteur de la santé au Sénégal. D’ailleurs, sont aussi concernés par ce système obligatoire d’autres salariés, des retraités d’institutions de prévoyance retraite, etc. Sans compter les mutuelles de santé.
C’est pourquoi certains sont fondés à croire que l’Etat est en voie de privatiser les prestations de santé concernant les fonctionnaires. Or, au Sénégal, le fonctionnariat est le bras séculier de l’Etat. Il s’y ajoute que les agents de l’Etat, censés être recrutés dans toutes les régions du pays sur une base équitable et non partisane, ont des charges socioéconomiques à assumer. Leur ôter cet acquis reviendrait à saper le moral de l’administration générale. Ce qui, du reste, n’est pas en cohérence avec le statut de l’Etat qui, en privilégiant des solutions négociées, a la mission d’offrir la meilleure prestation de santé possible pour la population, notamment ses propres agents.
CHUN de Fann / Dakar : Centre Hospitalier Universitaire National sis au quartier Fann de Dakar, établissement public de santé.
Service ORL : service qui a vocation à des soins des maladies des oreilles, de la gorge, de la langue.