L’exemple des réseaux parallèles d’acquisition de médicaments
By NIANG, Kéba (Kayemor, April 2009)
Conformément aux dispositions des textes législatifs et réglementaires portant sur la décentralisation et le transfert de compétence aux régions, l’acquisition des médicaments est censée s’effectuer par la voie hiérarchique. Nous sommes ici à Kayemor, une communauté rurale jouxtant la communauté rurale de Médina Sabakh, laquelle est frontalière avec la République de Gambie. Dans le cas qui nous préoccupe, l’approvisionnement doit emprunter l’itinéraire ascendant : de la case de santé au poste de santé, ensuite du poste de santé vers le district (centre de santé de référence) et enfin du district à la Pharmacie Régionale d’Approvisionnement (PRA).
Mais force est de reconnaître qu’en suivant cette procédure, maintes difficultés se dressent quant à la possibilité de satisfaire la demande des populations en médicaments. Résultat : beaucoup de structures de santé sont amenées à trouver des raccourcis, d’autres voies non officielles empruntent souvent des canaux comme la Gambie, un dépôt informel mais bien fréquenté, au vu et au su de tous, dénommé « Kër sëriñ bi » sis à Dakar, les circuits parallèles à Touba Mbacké, etc. Et, tout cela, rien que pour pallier les situations de rupture et de pénurie en médicaments, poussant ainsi les populations désemparées à en vouloir à tort ou à raison aux membres des comités de santé.
En guise d’illustration, voici une expérience vécue, en toute bonne foi.
« Resté un bon moment suite à ma demande insatisfaite récurrente auprès du district de Nioro, je me suis rendu sur place au district pour y voir plus clair. Mais, aucune piste de solution d’approvisionnement. A mon retour, j’ai convoqué le bureau du comité de santé pour discuter de la question, les populations dans leur désarroi nous accusant de tout. Et la mort dans l’âme, nous nous sommes résolus d’aller à Touba Mbacké, cette idée nous étant venue de l’ex Infirmier Chef de Poste (ICP). Nous y sommes rendus et avons acheté des médicaments. Pas dans un but lucratif, mais tout simplement pour satisfaire les populations ; avec le grand risque d’en découdre à notre défaveur avec les douaniers. Mais, grâce à Dieu, l’opération a apparemment réussi. » !
A l’arrivée, quelle déception ! Quelques villageois ont vendu la mèche, propageant la nouvelle selon laquelle les médicaments servis étaient frauduleux et étaient de qualité douteuse, voire dangereuse.
Perplexes, nous n’avons eu aucune gêne à en référer à qui de droit. C’est ainsi que, dans le cadre des concertations et des partages au sein des structures communautaires en matière de développement, des professionnels, notamment un sociologue, n’ont pas manqué de souligner les responsabilités et les risques encourus dans un pareil cas. Fort de ces échanges et de la sensibilisation, l’un des acteurs que je suis en a tiré le seul enseignement qui vaille : ne plus se livrer à ce genre d’activité.
Certes, le district est statutairement devenu la zone opérationnelle comprenant un certain nombre de postes de santé articulés autour d’une structure de référence, qui est soit un centre de santé- comme ici à Nioro au niveau départemental- ou un hôpital régional.
Mais, au regard de ce qui précède, il convient de mettre un terme à ces réseaux parallèles, d’autres politiques d’acquisition de médicaments doivent être instaurées. Pourquoi ne pas fermer ces dépôts de distribution de médicaments si l’on ne peut pas les contrôler et les organiser dans l’intérêt des populations et dans le strict respect des normes de qualité et de sécurité sanitaire ?
Par ailleurs, c’est comme une nécessité impérieuse que d’alléger les lourdeurs de la bureaucratie administrative. Ce qui, du reste, est contraire à l’esprit d’une décentralisation performante. C’est là encore une des incohérences nées paradoxalement de la décentralisation dans le secteur de la santé : une hiérarchisation compliquant la situation au lieu d’apporter plus de transparence.
Une solution ne consisterait-elle pas à donner aux comités de santé la liberté d’accès aux pharmacies d’approvisionnement -même s’il le faut - avec une notification d’autorisation du poste pour la case, du district pour le poste et de la PRA pour le district ? En créant parallèlement les conditions de transparence et de démocratie participative au sein des comités de santé !
« Kër sëriñ bi » : En wolof, comprendre : « Chez le Marabout ». Officine informelle tenue par des groupes d’intérêts considérés comme marabouts
Touba Mbacké : ville sainte d’une puissante confrérie musulmane du Sénégal dénommée la Mouridiya, une véritable zone de libre d’échange.