Comment la légitimité du marabout peut servir de parapluie foncier à Porokhane
By DIALLO, Woppa (Nioro du Rip, April 2009)
La communauté rurale de Porokhane, située dans l’arrondissement de Paoskoto, département de NIORO, région de Kaolack est pour la confrérie mouride l’une des localités les plus vénérées par les adeptes, la sainte capitale de Touba exceptée. Et pour cause, la famille ascendante directe du fondateur de la confrérie y séjourna. D’ailleurs, c’est un haut lieu historique et spirituel et de pèlerinage drainant annuellement des milliers de visiteurs. Aussi la localité et ses environs sont-ils actuellement l’objet de convoitise de nombre d’immigrants et de rentiers en quête de terres pour usage de culture ou d’habitation.
Même si la lignée maraboutique ne jouit pas ici- contrairement à Touba (capitale religieuse de la confrérie mouride) des droits légitimes conférés par le statut du premier fondateur occupant, il n’en demeure pas moins que la famille représentant le Grand Khalife dispose d’énormes privilèges socioéconomiques, notamment en matière de foncier.
Dès les années 1960, la famille maraboutique commença à exploiter des terres tout autour du domaine occupé vers 1865 par le patriarche, un héritage traditionnel solidement conservé pour des raisons spirituelles et vitales. L’influence grandissante de la confrérie sur l’échiquier national aidant, ce domaine n’a cessé de s’accroître avec l’appui de plusieurs talibés (disciples) venus s’y établir, fuyant les terres appauvries du bassin arachidier originel.
Aujourd’hui, dans un contexte de rareté foncière, de décentralisation, de renforcement des capacités des élus locaux, la gestion des ressources naturelles est censée obéir à certaines règles plus transparentes. Et le conseil rural, grâce à l’appui des partenaires extérieurs- comme la Coopération allemande- est même parvenu à faire adopter de façon consensuelle, en novembre 2006, une Convention locale de la gestion des ressources naturelles des terroirs de ladite communauté rurale. Dès lors, la question des affectations des terres, sur délibération, est réglementée avec des garde - fous. Mais, c’était sans compter avec la faculté de reproduire des subterfuges sous les oripeaux du talibé travaillant pour le marabout.
En effet, des cultivateurs venant de toutes parts ne s’embarrassent pas de se joindre bénévolement au marabout en exploitant des terres sous sa férule, en y incluant des périmètres pour eux-mêmes. Ainsi, au bout de quelques années ces périmètres resteront davantage exploités par ceux-là, créant ainsi une certaine légitimation d’usufruit de l’espace convoité, en parfaite connaissance de cause. Il s’ensuivra au fil du temps l’étape d’une simple régularisation pour bénéficier –comme lettre à la poste- d’une affectation en bonne et due forme par le conseil rural ainsi instrumentalisé. Et le tour est joué, un accaparement au grand dam de maints postulants médusés.
Cette courte expérience montre de façon éloquente, que l’un des plus grands obstacles au changement qualitatif est la faculté de reproduire par adaptation, sous d’autres formes, des éléments d’anciennes pratiques répréhensibles. Comme le dit un vieil adage peu vertueux : « il faut bien comprendre les contours d’un règlement pour pouvoir le contourner efficacement ». D’autant plus que dans cette affaire, les intérêts complémentaires du marabout comme ceux du talibé opportuniste sont sauvegardés. Aussi, ne serait-il pas plus judicieux d’impliquer le marabout ou ses proches conseillers dans les négociations et les approches de la gestion des ressources locales, et notamment le foncier.
Confrérie mouride : une des confréries musulmanes les plus influentes et les plus dynamiques du Sénégal
Grand Khalife : titre du Guide suprême des mourides, au sommet de la hiérarchie pyramidale.