By BEN MESSAOUD, Sonia (2003)
Un atelier-débat sur le thème de l’éducation s’est tenu dans l’amphithéâtre de l’université de Lomé, en octobre 2000, à l’occasion du passage de la caravane africaine pour la paix et la solidarité dans ce pays.
L’atelier a rassemblé une quarantaine de personnes appartenant à des organisations ouvrant pour la paix, l’éducation et la jeunesse. L’atelier était animé par un enseignant syndicaliste. Il a souhaité aborder le sujet de façon simple et limiter son intervention à l’Afrique francophone.
L’éducation est un sujet qui concerne les professeurs, les enfants et les décideurs politiques qui utilisent les produits à mettre sur le marché. Le droit à l’éducation est reconnu dans tous les instruments nationaux et internationaux et les solutions concernent tout le monde.
Or, quelle est la situation actuelle en Afrique ? Depuis les années 1970, l’éducation en Afrique se porte mal. De 1980 à aujourd’hui, le taux de scolarisation est passé de 69,2 à 71,7 pour cent. Il faut être prudent avec ces chiffres, car ils sont manipulés pour obtenir de l’argent. En réalité, le taux de scolarisation a chuté, car les Etats ne mettent pas les moyens financiers et matériels nécessaires. Il y a un véritable débat qui doit être mené, car l’éducation n’est pas considérée comme une priorité aujourd’hui. Les personnes en charge du respect de la constitution, qui doivent assurer l’éducation à chacun, limitent le nombre de personnes qui veulent accéder à la connaissance. Le phénomène de privatisation des écoles augmente et seuls ceux qui ont les moyens de payer les charges peuvent y accéder. D’ailleurs, les dirigeants africains n’ont pas leurs enfants en Afrique mais en Europe, car ils savent que le système national est mauvais. A long terme, ce sont leurs enfants qui vont diriger. Les dirigeants sont en train d’instituer volontairement un régime où ce sont les mêmes, les enfants de même famille, qui vont se trouver à des postes de responsabilité.
En 2000, on devait avoir atteint au moins 60 pour cent de personnes capables de lire et écrire. Le bilan est que ce chiffre ne devra probablement être atteint qu’en 2025. La communauté nationale doit veiller à ce que cela change. Nous ne pouvons pas envisager une situation de paix majeure dans un continent sous-scolarisé. Les gens ne croient plus à l’école, car normalement cela doit à terme mener à un métier, mais ce n’est pas le cas. Quand dans une famille de cinq enfants, les trois aînés n’ont pas de travail, les parents préfèrent emmener les deux derniers apprendre à pêcher. L’école est malade, elle souffre et pour qu’elle guérisse, il faut que tout le monde s’y mette et apporte sa part de connaissance.
Au niveau pédagogique, il y a autant d’enseignants titulaires que d’enseignants auxiliaires au Togo. Par définition, l’enseignant auxiliaire est quelqu’un qui est là pour ‘boucher les trous’. La question à poser est, est-ce que leur prestation correspond à moyen ou long terme des besoins de la société ? Ce phénomène n’existe pas dans le corps médical ou militaire. Il ne s’agit pas de les écarter, mais ils doivent travailler avec les exigences du métier.
D’un autre côté, les moyens financiers accordés aux universités sont insignifiants. Les systèmes éducatifs en Afrique ne sont pas au coeur du développement.
Dans l’éducation traditionnelle aussi il y a un problème. L’éducation traditionnelle d’un enfant ne relevait pas uniquement de ses géniteurs, mais du village entier, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Est-ce que ce n’est pas l’individualisme qui a créé cette cassure ? Nous devons examiner les normes actuelles de la tradition et pourquoi ne pas envisager un mariage ou une harmonie entre éducation traditionnelle et éducation moderne, comme au Japon.
Nous faisons ce que les bailleurs de fonds veulent qu’on fasse avec leur argent. Sous prétexte que nous avons besoin d’argent, nous acceptons tout ce qui vient de l’extérieur. Le premier enjeu est de parier sur notre propre avenir. Il faut définir ensemble la société dans laquelle nous voulons vivre et ce n’est qu’à partir de là que nous pouvons élaborer des stratégies. Cela veut dire aussi nous responsabiliser et responsabiliser les gens. L’autre pari est que la société africaine doit être une société où les gens savent lire et écrire, où il y a une éducation de base. On ne peut pas combattre la maladie dans une société d’ignorants et d’analphabètes. Comme dans les pays développés, l’éducation doit être une priorité, pas seulement de discours, mais de fait et de réalité.
En France par exemple, le budget de l’éducation est le plus important. Cela veut dire aussi que les dépenses budgétaires doivent aller là où elles doivent aller. L’école doit enseigner les valeurs. On dit que l’école est laïque, mais cela ne veut pas dire qu’elle ne peut pas enseigner la morale ou les pratiques de bonnes moeurs. L’école doit donner aux hommes et aux femmes la capacité d’apprendre à connaître. Il faut aussi qu’on apprenne à faire, à vivre ensemble et à être soi-même. Mais l’école n’est pas une usine pour fabriquer des ressources pour les entreprises. Il faut que les nouvelles technologies soient au service de l’épanouissement de l’Homme, au service de la collectivité, de la paix et de la dignité. Nous n’avons pas de système d’éducation et il faut mettre en place ce système avec cohésion.
L’école est le lieu où on acquiert l’épanouissement individuel et collectif. On ne peut s’épanouir s’il n’y a pas de démocratie et de liberté. Elle est aussi le lieu de construction de la démocratie. On ne peut pas envisager la démocratie si on est dans une société d’analphabètes. L’enjeu essentiel est de bâtir des systèmes éducatifs qui donnent la capacité à tout le monde de s’épanouir.
Dans notre société, le mérite n’existe pas, c’est seulement parce qu’on est le fils de tel qu’on a tel avantage ou tel privilège. Il faut construire les instruments de justice pour que la jeunesse se sente concernée. Le rapport entre l’éducation et la jeunesse n’est pas assez approfondi. Il faut amener les jeunes à s’intéresser à l’école. Cette jeunesse a perdu confiance en elle-même.
En conclusion, il n’existe pas encore d’école africaine. Celle qui existe est importée. Il y a éducation et extraversion car on a l’impression que notre système éducatif est tourné vers l’extérieur. Par exemple, le découpage de l’année scolaire est un vestige de la colonisation. Il n’y a pas de passerelle entre l’éducation à la maison et l’éducation à l’école. Dans les pays francophones, c’est une cassure, il y a deux mondes à part. Il y a aussi une démission de l’Etat, des parents et des enfants eux-mêmes. Aujourd’hui, ce rêve n’existe plus, notre école est en train de mourir et c’est grave. Les conditions des enseignants ne changent pas. En 20 ans d’enseignement, j’ai eu un ordinateur pendant trois semaines.
Au Togo, il y a un véritable problème politique. Quand il s’agit de mobiliser la conscience collective, on la mobilise contre les enseignants. Cela fait dix ans que nous vivons le système d’auxiliarisation, de privatisation et de mépris de l’école. On ne recrute plus d’enseignants titulaires fonctionnaires. On les prend en tant que contractuels. Au début des années 1990, avec l’avènement démocratique, il y a eu le PEF (Programme Enseignement Formation). En 1994, le système d’auxiliaires a été mis en place, mais auxiliaires à qui ? Il y a un manque de professionnalisation dans l’enseignement.