« Sokindè » et « Bastêrê » ou la paix par les plaisanteries ou les railleries.
By Tikpi Atchadam (Lomé-Togo)
Les Tém habitent la région centrale du Togo. On les retrouve au Bénin et au Ghana où ils sont citoyens. C’est une société à Etat. L’organisation politique traditionnelle comporte un gouvernement caractérisé par l’exercice organisé d’une autorité coercitive au moyen de l’usage, ou de la possibilité d’usage de la force physique. Le royaume qu’ils ont créé était doté d’une armée qui servait au maintien de l’ordre intérieur et à la guerre proprement dite. Il existe une organisation judiciaire bien structurée avec des possibilités de voies de recours.
Bien que disposant d’un appareil judiciaire, les Tém connaissent des institutions qui leur permettent de domestiquer le conflit ou de revenir d’une situation conflictuelle à une situation de paix permanente. Au plan interne à l’ethnie, on a le « Sokindè » . Bien prononcé, la mot Sokindè signifie « parent à plaisanterie » .
Le « Sokindè » crée des situations ou des relations pouvant être assimilées à des faits justificatifs. Les relations concernées sont celles qui lient la nièce ou le neveu à la femme de l’oncle, la petite sœur ou le petit frère à la femme du grand frère. Les railleries réciproques sont reconnues et autorisées par la coutume dans ces relations. La nièce par exemple, à chaque fois qu’elle croise la femme de son oncle, peut proférer des injures à l’adresse de celle-ci et vice versa. Ce sont des injures pouvant être considérées d’injures graves si elles étaient proférées en dehors de ces relations là.
La femme ou la nièce « victime » de ces injures ne peut se plaindre nulle part parce qu’il n’y a pas injures. Donc par autorisation de la coutumier, les rapports femme-nièce du conjoint effacent ou justifient les injures. Mais c’est une situation que le tribunal peut juger s’il en est saisi. Généralement, il n’en est pas saisi, preuve que la tradition a encore une emprise certaine sur les populations.
Au plan externe, au cours de leur histoire, les Tém ont eu à conclure des alliances communautaires (« Kédya » ) encore vivaces aujourd’hui avec les Moba et les Gourmantché vivant à Dapaong au nord du Togo et au sud du Burkina Faso d’une part et avec les Samirê au centre-est du Togo et au Bénin d’autre part, justifiant les railleries réciproques (bastêrê) entre eux et les groupes concernés. Ces alliances autorisent des railleries réciproques entre ces peuples. Des injures parfois très dures sont proférées entre eux dans n’importe quelle circonstance et sans considération du rang social de l’intéressé ou de ses fonctions, même d’Etat. Ce sont les rapports de par le passé qui autorisent ces injures et celui qui les profère se trouve dans un cas de justification par autorisation de la coutume. Il n’y a donc pas infraction. Et pourtant, les injures sont prévues et punies par loi pénale.
Les Tém et les Samirê ont connu des conflits armées qui les ont amenés à conclure une sorte de pacte de non agression, scellé dans les formes traditionnelles avec un sacrifice humain selon les dépositaires de l’histoire tém. A partir de ce moment, le conflit a été vaincu entre les membres de ces deux peuples. Entre les Tém d’une part et les Gourmantché et les Moba d’autre part, il s’agit d’un pacte scellé en temps de paix pour rendre celle-ci perpétuelle. Par ailleurs, dans un conflit ou un procès, un Tém ne peut témoigner contre un Gourmantché, un Moba ou un Samirê et vice versa en faveur d’un tiers. Un accident de circulation impliquant un Moba et un Tém à Lomé a été réglé sur le champ sans difficultés particulières. Le mot de passe entre eux est « Wawa » .
Les mécanismes de prévention des conflits mis en place par les peuples africains à travers des pactes séculaires sont remis en cause par l’Etat-Nation avec son droit dit moderne. Le droit positif ramène le conflit là où il a été résorbé et vaincu. Les différends sont susceptibles de réapparaitre dans les rapports où ils ont été chassés par la coutume.
Les plaisanteries au plan interne à la famille (entre nièce et épouse de l’oncle par exemple), et au plan externe à l’ethnie (entre Gourmantché et Tém par exemple) sont remises en cause. Les Tém et les Samirê qui sont passés d’une situation de conflit à une situation d’harmonie et de paix risquent le retour au statut quo. Pour l’instant, ces parentés à plaisanteries continuent de résister et il faut capitaliser pendant qu’il est encore temps. Le « bastêrê » est transfrontalier et ignore l’existence de frontières coloniales. Il est effectif entre des peuples différents (Tém, Gourmantché, Moba et Samirê) vivant dans des Etats différents (Togo, Burkina Faso et Bénin).