L’exemple du Ngel et du Sara Sagne de Fadiouth
By Boubacar Cissé Fall (Dakar, Sénégal, June 2007)
La commune de Joal-Fadiouth, située à 35 km au sud de Mbour et à 115 km de Dakar, est née en 1996 du regroupement de trois villages Sérères, Joal, Fadiouth et Ngazobil.
La commune s’étire le long de la côte, sur une longueur de 10 km, entre Ngazobil et Palmarin.
Le territoire de la commune couvre 5 023 hectares, dont 5023 pour Joal et 12 pour Fadiouth.
Lors du recensement de 2002, la population s’élevait à 32 991 habitants. En 2007, selon les estimations officielles, Joal-Fadiouth compterait 39 078 personnes, dont plus des 3/4 pour Joal, soit une population estimée à environ 10000 pour l’île de Fadiouth.
Joal-Fadiouth constitue une étape et une transition entre les stations balnéaires de ce qu’il est convenu d’appeler la petite – côte (Saly et Nianing avec leurs grands complexes touristiques) et une autre zone touristique très prisée, les îles du Saloum que d’aucuns appellent «la Polynésie du Sénégal».
Cette commune représente le premier lieu de pêche artisanale au vu de la quantité de produits halieutiques débarqués au port de pêche de joal et qui représente, le tiers de la production halieutique du Sénégal.
L’agriculture, avec les cultures du riz, du mil, du niébé et de l’arachide, est aussi importante dans l’économie de la zone et cela, malgré le fait que la moitié des terres soit constituée de « tann », c’est-à-dire, des terres rendues incultes par la pénétration des eaux salées qui occupent une partie du continent au gré des marées.
La ville de Joal est la ville natale de Léopold Sédar Senghor (premier président du Sénégal) dont la maison familiale est aujourd’hui un musée qui porte le nom «Mbind Diogoye», du nom de son père Diogoye Basile Senghor. Dans cette maison face à l’océan sont exposées divers objets et outils représentatifs de la culture sérére.
A partir de Joal, l’île de Fadiouth est accessible à pied par un pont de 600 m qui franchit le bras de mer Mama Nguedj. Depuis 2005 un pont tout neuf remplace l’ancienne et typique passerelle dite de « Finio » construite en 1962 entièrement avec des troncs de rôniers.
Cette petite île de 800 m de long, est un amas de coquillages entassés par les hommes depuis très longtemps, d’où son appellation d’île aux coquillages.
La population de l’île est principalement d’origine sérére et il est à noter que, dans un pays majoritairement musulman, dans l’île de Fadiouth 90% des habitants sont chrétiens. En outre, la vie de l’île est fortement marquée par la survivance de pratiques animistes auxquelles se livre la quasi totalité de la population ; bien que se réclamant de l’Islam ou du Christianisme.
L’originalité la plus marquante qui frappe de prime abord le visiteur de Fadiouth, est le cimetière marin, où musulmans et chrétiens enterrent leurs morts chacun selon ses rites et avec de tombes alignées côte à côte. Ce cimetière est accessible par une autre passerelle longue de 200 m. Ce cimetière est l’illustration donc la plus marquante de l’originalité du style de vie sur l’île de Fadiouth. En effet Fadiouth est caractérisée par une forte survivance des traditions jalousement conservées par des populations pourtant exposées à la poussée du modernisme avec le développement qu’y connaît le tourisme du fait du patrimoine en présence sur cette île.
Ainsi, on trouve au centre de l’île, un grand baobab centenaire, est considéré comme le baobab sacré car est censé être habité par l’esprit protecteur du village, «Mama Ndagne». Au bas du baobab, sur un côté, une petite case en paille renferme le «pangol», l’esprit d’un ancêtre, sorte de prodige qui, continue à faire des prodiges après sa mort; comme c’était le cas de son vivant.
Chaque année, la période aux alentours du 15 août, fête de l’Assomption pour les chrétiens est aussi un grand moment de fête à Fadiouth qui voit le retour au village de beaucoup de ses fils de la diaspora tant celle proche (Joal, Dakar et autres endroits du Sénégal) que celle éloignée (autres pays d’Afrique et du monde) pour célébrer ce qui est devenue comme une fête patronale à Fadiouth. Pendant plusieurs jours des manifestations culturelles Sérères sont organisées, allant des tournois de luttes, aux concerts de musiques traditionnelles en passant par les cérémonies de «Ngél».
Le «Ngél» dans cet entendement, est une danse qui se dansait traditionnellement à la sortie des hommes de la «case de l’Homme», à la fin de l’initiation. Pour la danser, des filles et des garçons généralement du même âge et en deux files (une de chaque sexe) vêtus d’habits traditionnels, dansent sur un pas rythmé par la cadence des tam-tam qui va s’accentuant. Cette danse est le symbole de l’entraide dans une classe d’âge.
Dans un autre contexte, le mot «Ngél» a une autre acception. Il renvoie en effet à un groupe cercle regroupant des personnes du même âge; ce qui le rapproche de sa première signification. Mais ici il définit la place publique où se retrouvent les hommes du troisième âge et qui constituent en leur sein, le Conseil du «Ngél».
En effet ce ne sont pas tous les hommes du troisième âge qui se retrouvent à cette place qui forment le Conseil. Ils forment tous l’assemblée générale du «Ngél». C’est cette assemblée qui nomme en son sein les membres du conseil du «Ngél».
La désignation et la durée du mandat d’un membre du conseil du «Ngél» ne dépend pas du temps mais des fonctions et de la sagesse qui fondent la confiance en lui de l’assemblée générale. Les membres du Conseil ne sont pas tenus de prêter serment car dès fois, ce sont les membres de l’assemblée générale qui les propose et exercent des pressions sur eux pour les obliger à accepter la charge qui plus, ne donne pas droit à une rémunération.
Le «Ngél» est considéré comme le tribunal du village. Il connaît des problèmes d’habitat, des cas de vol, des problèmes de ménage et des problèmes fonciers opposant le plus souvent les habitants de l’île aux populations du continent en matière de terres de cultures.
En effet la population de Fadiouth est essentiellement composée d’agriculteurs ; mais leurs champs se trouvent sur le continent. Il est fréquent que des conflits portant sur l’occupation de ces champs par des populations des villages situés sur le continent éclatent. Le Conseil du Ngél s’en saisit et fait de son mieux pour un règlement à l’amiable du contentieux.
Ce sont là les attributions traditionnelles du Conseil du Ngel qui sont le droit de la famille, le droit des biens et la gestion foncière.
Dans le cadre des missions qui leur sont confiées, si le travail est mal fait par un membre du Conseil, il peut être démis de ses fonctions sur décision de ses pairs et être remplacé par un autre membre de l’assemblée générale.
Pour juger les affaires qui sont portées à sa connaissance, le Conseil, se base toujours sur les valeurs traditionnelles qui constituent les fondements des relations sociales unissant les populations de l’île. Il s’agit entre autres du sens de la famille et du sens du respect dû aux anciens. Ces valeurs pèsent pour une grande part sur les décisions qui sont rendues et qui font le plus possible appel au consensus. Pour ce faire, le Conseil convoque les protagonistes en présence des chefs de ménage des familles auxquelles ils appartiennent. Au besoin, les chefs de quartiers sont associés à la recherche de solutions pour résoudre les problèmes posés.
Dans la culture Sérére, le recours au Conseil du Ngél était spontané. Ainsi c’est de façon toute naturelle qu’en cas de problèmes, les gens recouraient aux sages. Les décisions rendues revêtaient toujours le manteau d’avis ou de solutions résultant d’un processus de médiation, plutôt que de revêtir la forme de sanctions.
Mais de nos jours il arrive souvent que des contentieux soient directement amenés par les parties devant les autorités administratives (police, gendarmerie) et judiciaires (tribunal) modernes. Le plus souvent, il s’agit de contentieux porteurs d’enjeux matériels importants ou d’enjeux financiers lourds. Cela témoigne de la mutation sociale qui est progressivement entrain de se produire avec le recul des valeurs traditionnelles de solidarité qui empêchaient que certaines situations soient portées en dehors du village et de ses instances.
Cette situation entraîne une coexistence quelque part heurtée entre les structures modernes et traditionnelles de règlement des conflits sociaux. En effet, devant de pareilles situations, les sages font des pieds et des mains pour que les fils de Fadiouth rapportent leur saisine des autorités modernes et reviennent vers les instances traditionnelles. Cela entraîne dès fois des heurts dans les relations entre les sages membres du Conseil et les institutions modernes qui voient dans l’attitude du ngél une entrave à l’exercice de la Justice, alors que les sages voient dans les autorités modernes des agents de déstructuration de la société traditionnelle sérère.
A côté du Ngél, il existe une personnalité porteuse de beaucoup légitimité tirée du statut social dont il est investi depuis des générations. Il s’agit du Sara Sagne qui est dépositaire d’un pouvoir mystique destiné à conjurer la survenue d’événements graves pour la société ou à en atténuer les conséquences.
Il apparaît à des moments précis concomitants avec des catastrophes naturelles, par exemple des inondations ou un déficit de pluies important durant l’hivernage, au point de remettre en question les récoltes pour conjurer le mauvis sort par des danses mystiques et des sacrifices auxquels participent les populations.
Ces deux exemples montrent toute la difficulté des questions de cohabitation des légitimités dans une perspective de pluralisme juridique. En effet les enjeux de pouvoirs entre les porteurs de légitimités illustre un premier niveau de complexité car ils peuvent voir chacun en l’autre un usurpateur de légitimité , voire une menace sur son leadership. La difficulté est augmentée quand les populations en arrivent à balancer entre les différentes légitimités en présence, à la recherche du profit maximum, parce que les valeurs sur lesquelles étaient bâti leur rapport aux biens matériels et financiers ont beaucoup évolué avec le temps et l’influence de la «modernité».
La présente fiche présente une expérience de cohabitation de légitimités traditionnelles et de légitimités modernes marquée par des mutations caractérisé par le recul de certaines au profit d’autres. C’est ainsi que les légitimités qui avaient traditionnellement la charge de rendre la Justice connaissent un vrai recul car les populations de plus en plus matérialistes préfèrent recourir à des instances rendant des décisions nettes et tranchées plutôt que de faire la promotion du dialogue et de la recherche du consensus pour un climat social apaisé. C’est la conclusion tirée de la présentation du Conseil du Ngél .
Par contre la reconnaissance et l’acceptation sont de mise pour d’autres types de légitimités sans enjeu direct sur les conditions matérielles d’existence des populations et qui revêtent d’ailleurs un certain aspect folklorique. C’est le cas avec le Sara Sagne.