Corruption, impunité et vie chère au Burkina Faso: témoignage d’un divorce entre les institutions et la société

Depuis quelques années, les populations Burkinabè ont perdu toute confiance en leurs institutions. Elles les savaient fragiles mais espéraient qu’au fil du temps, ces institutions se renforceraient et contribueraient progressivement à l’ancrage de la démocratie. Plus le temps passe, plus l’espoir d’un processus démocratique réel fait place au constat douloureux de l’instauration d’une ploutocratie institutionnelle voire une « floutocratie » où les dignitaires vivent le paradis terrestre et les citoyens s’enlisent dans leur grande majorité dans la misère noire. L’Etat de droit et les institutions qui sont sensées le porter et lui conférer toute sa légitimité ressemblent fort à des tonneaux de danaïdes. Malgré les incessantes interpellations, les multiples dénonciations tant par les organisations de la société civile, de la presse que par certains partenaires au développement, les gouvernants sont restés sourds, préférant souvent verser dans la diversion avec la bonne tactique machiavélique consistant à bien manier à la fois, le bâton et la carotte. Peu importe donc que le peuple ne leur reconnaisse une quelconque légitimité. Le plus important étant qu’il ait peur du souverain. Dans ces conditions, l’accès à un poste de responsabilité rime plus avec contribution à la consolidation du pouvoir du souverain avec tout ce que cela comporte d’avantages personnels, d’enrichissements illicites, de laisser-aller et laisser-faire pourvu que l’on ne touche pas aux intérêts du grand chef et peut-être de sa famille. En seulement moins de deux décennies d’apprentissage démocratique, les Burkinabè semblent s’essouffler dans leur quête de plus de justice distributive, d’équité dans l’accès aux services sociaux de base et l’exercice effectif de leur citoyenneté. Ils croient de plus en plus en la rue comme moyen le plus sûr de se faire entendre. En d’autres termes, ils croient plus aux rapports de force qu’à la régulation sociale par les institutions républicaines.

« La société burkinabè est divisée aujourd’hui entre Entre les deux se positionne un troisième groupe qui tente avec des fortunes diverses de réduire la cassure et de sonner le réveil des opprimés ». La cascade des évènements en ce début d’année est la manifestation du refus de l’état actuel de la situation sociopolitique en cours au Burkina Faso. La société est en effet divisée entre d’une part une minorité de « citoyens » à qui la République a donné tous les pouvoirs et les richesses, et d’autre part une majorité presque silencieuse à qui cette même République a condamné à la misère économique et sociale.

Cette majorité silencieuse se résout de plus en plus à ne plus accepter périr dans le silence. Désormais c’est dans la violence qu’elle entend exprimer son désaccord avec les pouvoirs publics.

Fâcheuses et insouciantes habitudes

Début février 2008, le Secrétariat permanent de la bonne gouvernance lance un pavé dans la marre apparemment paisible mais profondément trouble de la vie publique au Burkina Faso. L’étude sur la corruption qu’il avait commanditée est restituée à Ouahigouya, la capitale de la région du Nord à 180 Km de Ouagadougou. Les conclusions de cette étude révèlent que tous les secteurs de la vie sociopolitique et économique au Pays des hommes intègres sont minés par ce cancer qui, lentement mais sûrement, détruit les fondements moraux et éthiques de la vie en société. C’est pratiquement aux mêmes conclusions qu’a abouti le rapport 2006 du Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) présenté deux semaines après l’étude sus-citée. Curieusement, cela ne semble nullement émouvoir les animateurs de la vie politique nationale qui, fidèles à leurs fâcheuses et insouciantes habitudes, préfèrent se ruer les uns sur les autres par des débats inutiles autour de qui est de la mouvance présidentielle ou de l’opposition, de l’unité des sankaristes, etc.

Ainsi, la montée vertigineuse de la corruption semble être un non évènement dans le landernau politique burkinabè. Comme s’ils avaient tous peur de se lancer dans un domaine où chacun se reproche des choses, les politiques se terrent dans un mutisme inexplicable ou des réactions timides dans la presse.

En effet, du côté du parti majoritaire et de ses alliés, c’est le silence radio. Que pourraient-ils bien dire de cet état de fait ? Pas grand-chose sauf bien sûr des professions de foi. Car, le phénomène de la corruption est dû, en grande partie, à l’incapacité des gouvernants à assumer pleinement leurs responsabilités dans la moralisation de la gestion du bien commun. Le laxisme, les promotions de complaisance, l’absence de transparence dans la gestion des deniers publics, l’incapacité de l’appareil judiciaire et les autres organes de contrôle de l’Etat à s’affranchir de la mainmise du politique, l’agonie morale dans pratiquement toutes les échelles de la société burkinabè sont entre autres des éléments explicatifs de la corruption galopante.

Les conclusions de ces rapports sur l’état de la corruption au Burkina tranchent nettement avec les discours des gouvernants. L’on se souvient encore de l’entretien télévisé du 6 septembre 2007, du Président du Faso qui avait balayé d’un revers de la main la situation préoccupante de la corruption.

Curieusement son premier ministre semble prendre la mesure de l’ampleur du drame et ne rate aucune opportunité d’affirmer sa volonté d’assainir la gestion des affaires publiques. Mais a-t-il autant de moyens d’actions concrètes que de liberté d’expression ? En effet, tout porte à croire que le premier ministre a acquis la liberté de parole et il ne s’en prive pas. Mais les actes se font toujours attendre. Il y a certes ces contrôles inopinés de l’utilisation du matériel roulant de l’Etat, les week-ends. Il y a aussi que dans certains secteurs de l’administration publique, les « petits fonctionnaires » commencent à faire attention. Certains ont déjà payé le prix de leur indélicatesse comme cet instituteur licencié en conseil de ministres avec poursuites judiciaires pour avoir détourné une quarantaine de livres.

La gangrène est telle que de véritables opérations chirurgicales sont nécessaires pour instaurer une salubrité publique. Les discours et la punition d’auteurs de quelques peccadilles ne suffisent pas. On en vient à croire que le gouvernement est désarmé face à la crise socioéconomique qui s’enracine dans le quotidien des populations. On a permis aux acteurs du monde économique, pendant des décennies, de faire des affaires sur le dos de l’Etat.

 

Citoyens en désarroi, gouvernement sans initiative, opposition sans alternative

La collision entre le politique et l’économique a atteint un seuil de non retour. Ce sont les mêmes qui font la politique ou gèrent les affaires de l’Etat qui créent, soutiennent ou protègent des unités économiques. C’est dans ce contexte de l’économie de prédation, que Tertius Zongo prend ses fonctions de Premier ministre. Apparemment, il a oublié qu’avant de partir aux USA comme ambassadeur, il avait contribué à instaurer ou à créer une situation qui a affaibli progressivement l’autorité de l’Etat. Dès son installation, son gouvernement prend un certain nombre de mesure pour permettre à l’Etat de recouvrer ses droits. Et les commerçants décident de répercuter le manque à gagner sur le consommateur. Et progressivement, les prix des produits de première nécessité ne font que grimper. Le désarroi gagne du terrain. Le gouvernement confirme son impuissance et ou son manque d’initiative par un communiqué laconique annonçant des mesures pour veiller au respect des règles de la concurrence. Aucune garantie n’est donnée au citoyen quant à la volonté du gouvernement de le protéger contre la cupidité de certains commerçants. Face à cette inertie, des mouvements de contestations s’annoncent. Mais rien ne semble bouger du côté des autorités.

Du côté de l’opposition, c’est aussi l’attentisme. Aucune initiative à même de canaliser le mécontentement général dans le cadre de luttes organisées. Aucun parti politique de l’opposition, ni coalition de partis n’a organisé ni un meeting, ni marche, ni conférence de presse, ni conférence publique à ce sujet. Aucune alternative au drame social ne pointe à l’horizon. Comme d’habitude, l’on attend les périodes électorales pour participer à de chaudes empoignades qui ne rapportent que quelques sièges à l’Assemblée nationale et dans les conseils municipaux. Par son manque d’initiative, l’opposition burkinabè donne l’impression d’accompagner simplement le pouvoir sans capacité réelle d’influencer le cours des choses. On comprend pourquoi, même l’Alliance pour démocratie et la Fédération – Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA) se revendique de l’opposition tout en soupant à la table du pouvoir. Ce parti qui se reconnaît dans le programme politique du Président Blaise Compaoré dont il participe à la réalisation, refuse d’assumer ses choix politiques. Car, on ne peut soutenir le programme politique du Président en fonction, participer à son gouvernement, soutenir ses dérives comme cette commémoration des 20 ans de pouvoir, multiplier les déclarations hasardeuses du genre Blaise Compaoré est le meilleur qui puisse arriver au Burkina, et prétendre être de l’opposition.

Le contexte sociopolitique du Burkina est aujourd’hui inquiétant. En l’absence de contre-pouvoir réel, capable de contraindre le pouvoir à assumer toute la responsabilité qui est la sienne, les populations ne savent plus à quel saint se vouer. Ainsi, le mécontentement se généralise. Chacun porte sa croix aussi longtemps qu’il peut, rumine sa colère et ses souffrances et scrute anxieusement l’horizon de lendemains meilleurs. Et la moindre étincelle peut mettre le feu aux poudres. C’est ce qui s’est passé à Bobo, les 20 et 21 février, à Ouahigouya le 20, à Banfora le 21 février et le 28 février à Ouaga. Initialement organisés par les commerçants contre la vie chère, ces mouvements spontanés se sont révélés être des machines à pillages et casses. Mais le pire est à craindre, ni la force publique, ni les promesses ne peuvent contenir dans le long terme, cette colère sourde qui ronge la grande majorité des Burkinabè. Le gouvernement a le dos au mur et devrait penser lucidement son action d’abord dans le sens de soulager les pauvres citoyens qui crient tantôt à tue tête, tantôt bruyamment voire violemment leur désarroi. Il y va de la stabilité sociale. Il n’y a pas de pays qui aient une culture de la violence ou de la tolérance plus que les autres. Tout est fonction de la capacité des peuples à supporter les injustices, de l’évolution politique des pays, mais aussi et surtout de la portée sociale et économique du problème en jeu. Or, ici, il s’agit de la survie. Et lorsqu’aucune alternative de survie ne se présente aux populations, elles se donnent toujours les moyens de refuser de mourir lentement. Elles prennent des initiatives sans réfléchir sur les conséquences parce qu’en ce moment-là, mieux vaut tenter de survivre par tous les moyens que de se laisser mourir. Un homme qui n’a rien à perdre est pire qu’un kamikaze. Il faut épargner le Burkina de ces « tsunamis humains ».

L’Etat doit reprendre ses droits face aux prédateurs. Et là, Tertius Zongo et son gouvernement qui vivent leur première véritable crise sociale sont vivement attendus. Mais l’on constate qu’ils essaient mais ont du mal trouver les choix appropriés. Dans la dernière semaine de février, ils engagent des consultations tous azimuts avec les communautés religieuses et coutumières, les organisations de la société civile, les partis politiques pour les inviter à contribuer à calmer les populations. Le conseil des ministres du mercredi 27 février prend une mesure transitoire suspendant, à partir du lendemain 28 février, la perception des droits de douanes et des taxes sur des produits de première nécessité (riz, produits laitiers, sucre, sel, pates alimentaires, savons, huiles alimentaires) pour une période de 3mois, juste le temps de permettre aux populations de se préparer à l’inflation.

Comme on peut le voir, le gouvernement semble paniquer. Ces mesures et ces consultations ne visent qu’à reporter l’explosion sociale. En effet, les populations peuvent-elles être prêtes pour assumer cette vie chère même dans 10 ans ? Où trouveront-elles des ressources complémentaires pour faire face à une nouvelle augmentation des prix au terme des 3 mois ? Les communautés religieuses ou coutumières peuvent-elles calmer les ardeurs de leurs fidèles pendant longtemps si ces derniers restent confrontés à des difficultés de survie ? Et l’opposition ? Est-ce dans son intérêt d’aider le gouvernement à se sortir d’une impasse qu’il a lui-même provoqué par l’insolente et l’arrogante opulence et la cupidité trop poussée de certains protégés du pouvoir ?

Le Gouvernement Tertius Zongo a encore montré toutes ses limites en seulement 8 mois. A la vérité, c’est le système lui qui est essoufflé et la société d’espérance promise par Blaise Compaoré se réalise malheureusement dans le sens contraire. La société burkinabè s’écroule progressivement sous le poids des choix malheureux de politiques publiques et un système de gouvernance bâti sur le louvoiement, la prédation, la navigation à vue, la course effrénée à l’enrichissement personnel et le culte de la personnalité. Il est temps de penser à la refondation de l’Etat. Autrement, aujourd’hui ou demain, on foncera tout droit dans le mur des abîmes et des lamentations.

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Ce témoignage essaie de faire un lien entre les manifestations violente conte le renchérissement du coût de la vie du fait de la flambée des prix des produits de première nécessité en février 2008. Il tente de montrer, contrairement à certaines analyses qui ont tendance à présenter ces manifestations comme spontanées et plus mues par des manipulations politiques, que nous sommes en plein dans une crise structurelle assez profonde. Ces violences qui deviennent de plus en plus récurrentes (mouvement des militaires pendant 3 jours en décembre 2006, manifestation violentes suites à des accusations de sacrifices humains contre des détenteurs de débits de boisson toujours en 2006, casse et vandalisme sur des biens publics et privés à plusieurs reprises en 2007 et début 2008)illustrent la crise de confiance entre les citoyens et les institutions. Désormais la rue semble devenir le recours pour les citoyens désabusés par des politiques publiques qui ont du mal prendre en charge leurs préoccupations et aspirations.

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