Les mirages d’un programme routier qui patine

le cas du tronçon Kaolack - Nioro

Au Sénégal, la réalisation des grands axes routiers relève exclusivement de la compétence de l’Etat. A l’aube des indépendances, le Sénégal était mieux loti que beaucoup de pays d’Afrique noire, en matière d’infrastructures routières, avec plus de 1000 Km de bitume. Faute d’entretien et de maintenance, le réseau routier est dans un état de dégradation tel qu’il devenait impérieux de procéder à des travaux de réhabilitation. C’est ainsi que des appels d’offre ont été lancés pour la réalisation des tronçons reliant Kaolack à différentes localités dont Tambacounda ; Sokone ; Keur Madiabel ; Nioro.

Le tronçon Kaolack- Nioro sur 55 Km fait justement l’objet de cette fiche. Les travaux, initialement prévus pour 9 mois, traînent toujours en longueur et sont sur le point de boucler les 2 ans. Ce programme, eu égard au piteux état de la chaussée et à la position géostratégique de cet axe desservant la Gambie et la Casamance, a -au départ- suscité beaucoup d’espoirs auprès des populations riveraines et des transporteurs, notamment en matière d’amélioration du cadre de vie, des conditions socioéconomiques et de la mobilité. Mais, force est de constater qu’au rythme des prolongations ce rêve s’est transformé peu à peu en cauchemar.

Pourtant, avant même la fin de la réalisation du programme, on n’a pas besoin d’être expert en BTP (Bâtiments et Travaux Publics) pour esquisser une analyse d’impacts positifs de la future route, une fois réhabilitée. Sans risque de se tromper, les plus importants seront :

Mais, vu la situation stationnaire qui perdure anormalement, les acteurs ruraux et les usagers ne peuvent considérer que les désagréments du moment. Et ils sont multiformes :

La liste n’est pas exhaustive. Mais, il ne saurait être question de passer sous silence des centaines d’hectares de terres cultivables occupées par les travaux, suite à une « déforestation » à grande échelle liée à la nécessité de creuser des dizaines de carrières de sable et de cailloux. Au grand préjudice de braves producteurs ainsi privés de plus du quart de leur terroir traditionnel pendant au moins deux hivernages consécutifs et qui ne survivent que grâce à cette activité.

Et jusqu’à quand se demandent-ils ? Pendant ce temps, le tonnerre qui gronde annonçant les pluies diluviennes, rendant ainsi impraticables la « route » hante le sommeil des riverains.

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En causant avec les riverains, il est curieux de constater qu’ils n’ont été informés à aucune étape du processus du projet. Et l’on est en droit de se demander si une étude conséquente (Etude d’Impact Environnemental et Social –EIES-) clarifiant les impacts potentiels directs et indirects a été effectuée. Et de rappeler la part de responsabilité de l’Etat, promoteur du programme dans ses obligations de veiller au respect de la réglementation environnementale des programmes routiers et aux dispositions pertinentes du nouveau code de l’environnement.

En suivant dans les médias les revendications des populations urbaines occupant sauvagement des espaces puis recasés avec ménagement après déguerpissement consécutif à plusieurs sommations lors de la mise en œuvre de pareils programmes, ils se considèrent comme des citoyens de seconde zone. En effet, quand bien même ils n’auraient pas droit à des indemnisations ils méritaient plus de considération, de sensibilisation, d’informations et de communications.

Certaines mesures d’accompagnement pourraient bien être menées parallèlement et par l’entreprise adjudicataire (à supposer qu’elle fût rentrée dans ses fonds selon les clauses du contrat eu égard au cahier des charges) et par l’Etat. Par exemple, il semblerait que l’embauche de riverains locaux dans les travaux de débroussaillage, de petits travaux et des travaux de sous traitance locale (collecte de sable et de matériaux) ne serait pas prise en considération.

La distribution de quelques vivres de soudure pourrait bien être menée en direction de ces paysans dont les superficies ont été happées par les contraintes des travaux, ce qui supposait un recensement préalable avec le concours des chefs de village concernés. En guise de mesures d’atténuation et de bonification.

Comme signalé plus haut, une augmentation de prévalence de MST/ Vih SIDA reste possible en raison d’une présence massive d’employés de l’entreprise, même si par ailleurs un certain contingent est régulièrement acheminé à Kaolack dès la tombée de la nuit. C’est pourquoi le travail de sensibilisation et d’informations auprès des autorités et des bénéficiaires s’imposait avant, pendant et après la réalisation du projet. Ce qui aurait permis de statuer sur les stratégies liées aux aspects de sécurité, des risques d’hygiène, de préservation de certaines espèces végétales ou animales, ainsi que des sites et monuments culturels locaux. Donc, autant d’actions partagées de manière à ce que les localités riveraines et les divers usagers s’approprient ces infrastructures et durablement. Aussi, aura- t-on contribué à la formation de la citoyenneté rurale, gage d’un droit légitime d’un contrôle citoyen. Un certain aspect d’une bonne gouvernance.

Notes

le Khalif général des mourides : Les « mourides » constituent une confrérie islamo sénégalaise fondée par Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké à la fin du XIXe siècle, ayant à leur tête un guide appelé Khalife général

Magal de Porokhane : pèlerinage annuel dans la localité de Porokhane, située à 7km de Nioro et qui est la 2e cité religieuse des mourides

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