le cas du tronçon Kaolack - Nioro
Par BA, Adama, DRAME, Ousmane, SECK, Mamour (Nioro du Rip, juin 2009)
Au Sénégal, la réalisation des grands axes routiers relève exclusivement de la compétence de l’Etat. A l’aube des indépendances, le Sénégal était mieux loti que beaucoup de pays d’Afrique noire, en matière d’infrastructures routières, avec plus de 1000 Km de bitume. Faute d’entretien et de maintenance, le réseau routier est dans un état de dégradation tel qu’il devenait impérieux de procéder à des travaux de réhabilitation. C’est ainsi que des appels d’offre ont été lancés pour la réalisation des tronçons reliant Kaolack à différentes localités dont Tambacounda ; Sokone ; Keur Madiabel ; Nioro.
Le tronçon Kaolack- Nioro sur 55 Km fait justement l’objet de cette fiche. Les travaux, initialement prévus pour 9 mois, traînent toujours en longueur et sont sur le point de boucler les 2 ans. Ce programme, eu égard au piteux état de la chaussée et à la position géostratégique de cet axe desservant la Gambie et la Casamance, a -au départ- suscité beaucoup d’espoirs auprès des populations riveraines et des transporteurs, notamment en matière d’amélioration du cadre de vie, des conditions socioéconomiques et de la mobilité. Mais, force est de constater qu’au rythme des prolongations ce rêve s’est transformé peu à peu en cauchemar.
Pourtant, avant même la fin de la réalisation du programme, on n’a pas besoin d’être expert en BTP (Bâtiments et Travaux Publics) pour esquisser une analyse d’impacts positifs de la future route, une fois réhabilitée. Sans risque de se tromper, les plus importants seront :
l’amélioration de la qualité de vie des riverains ;
l’opportunité d’activités favorables à l’implantation de petites entreprises ;
l’accroissement de la demande en restauration, boissons, produits de consommation alimentaire aux abords des chantiers et le long de l’axe ;
la plus - value sur le foncier, même si cela ne concernera qu’une très faible minorité, dans toute la zone du programme ;
le facile écoulement des produits agricoles de la zone ;
la favorisation du désenclavement de la Casamance et par conséquent, un atout majeur dans la résolution du conflit ;
l’amélioration de la sécurité du transport routier ;
la réduction des coûts d’exploitation des véhicules de transport en commun notamment, etc.
Mais, vu la situation stationnaire qui perdure anormalement, les acteurs ruraux et les usagers ne peuvent considérer que les désagréments du moment. Et ils sont multiformes :
durant ces travaux, les poussières et les fumées générées par les chantiers (nettoyage des emprises, travaux de construction, site de préparation du bitume) sont susceptibles d’entraîner des nuisances diverses et des complications respiratoires chez les riverains de la route aux niveaux des localités traversées. Sans parler du bruit des engins de terrassements et des tirs de dynamite. Les activités liées à l’installation des chantiers, l’ouverture des carrières d’emprunt et les terrassements, les nouvelles emprises provisoires et définitives, la circulation des engins induisent à coup sûr des impacts négatifs sur la nature des sols et la création de niches des vecteurs des maladies tels que le paludisme, entre autres.
Conviendrait-il, par décence, d’occulter les allusions ayant trait à un certain changement de comportements susceptibles de ne pas respecter les traditions locales et de favoriser la dépravation des mœurs (prostitution, banditisme, etc.) et l’atteinte à l’honneur et à la souveraineté des populations locales ?
Le déroulement des travaux a manifestement limité localement la fluidité du trafic (durée du parcours doublée de fait), avec des conséquences temporaires sur le transport des biens et services, les risques d’accidents de circulation plus élevés. Déjà près de 10 cas mortels ont été enregistrés sur la déviation longue de près de 50 Km : piste non stabilisée, latéritique, boueuse par endroits pendant l’hivernage, serpentant dans les champs des paysans. Et comme conséquences, les coûts et les charges récurrentes des moyens de transport, les perturbations momentanées à l’accès aux équipements socio-éducatifs et religieux.
Se posent donc les problèmes de sécurité des usagers et des riverains créés par la circulation des camions et engins, ainsi que les risques d’accident liés au bétail. Ce qui, du reste, explique qu’à deux reprises il a été question, pour le Khalif général des mourides, d’annuler sa participation au Magal annuel de Porokhane.
Il convient aussi de noter les rejets anarchiques des déchets solides et liquides de chantier (déblais, résidus divers, etc.) qui pourraient dégrader le cadre de vie et influer négativement sur les sols arables.
La liste n’est pas exhaustive. Mais, il ne saurait être question de passer sous silence des centaines d’hectares de terres cultivables occupées par les travaux, suite à une « déforestation » à grande échelle liée à la nécessité de creuser des dizaines de carrières de sable et de cailloux. Au grand préjudice de braves producteurs ainsi privés de plus du quart de leur terroir traditionnel pendant au moins deux hivernages consécutifs et qui ne survivent que grâce à cette activité.
Et jusqu’à quand se demandent-ils ? Pendant ce temps, le tonnerre qui gronde annonçant les pluies diluviennes, rendant ainsi impraticables la « route » hante le sommeil des riverains.
En causant avec les riverains, il est curieux de constater qu’ils n’ont été informés à aucune étape du processus du projet. Et l’on est en droit de se demander si une étude conséquente (Etude d’Impact Environnemental et Social –EIES-) clarifiant les impacts potentiels directs et indirects a été effectuée. Et de rappeler la part de responsabilité de l’Etat, promoteur du programme dans ses obligations de veiller au respect de la réglementation environnementale des programmes routiers et aux dispositions pertinentes du nouveau code de l’environnement.
En suivant dans les médias les revendications des populations urbaines occupant sauvagement des espaces puis recasés avec ménagement après déguerpissement consécutif à plusieurs sommations lors de la mise en œuvre de pareils programmes, ils se considèrent comme des citoyens de seconde zone. En effet, quand bien même ils n’auraient pas droit à des indemnisations ils méritaient plus de considération, de sensibilisation, d’informations et de communications.
Certaines mesures d’accompagnement pourraient bien être menées parallèlement et par l’entreprise adjudicataire (à supposer qu’elle fût rentrée dans ses fonds selon les clauses du contrat eu égard au cahier des charges) et par l’Etat. Par exemple, il semblerait que l’embauche de riverains locaux dans les travaux de débroussaillage, de petits travaux et des travaux de sous traitance locale (collecte de sable et de matériaux) ne serait pas prise en considération.
La distribution de quelques vivres de soudure pourrait bien être menée en direction de ces paysans dont les superficies ont été happées par les contraintes des travaux, ce qui supposait un recensement préalable avec le concours des chefs de village concernés. En guise de mesures d’atténuation et de bonification.
Comme signalé plus haut, une augmentation de prévalence de MST/ Vih SIDA reste possible en raison d’une présence massive d’employés de l’entreprise, même si par ailleurs un certain contingent est régulièrement acheminé à Kaolack dès la tombée de la nuit. C’est pourquoi le travail de sensibilisation et d’informations auprès des autorités et des bénéficiaires s’imposait avant, pendant et après la réalisation du projet. Ce qui aurait permis de statuer sur les stratégies liées aux aspects de sécurité, des risques d’hygiène, de préservation de certaines espèces végétales ou animales, ainsi que des sites et monuments culturels locaux. Donc, autant d’actions partagées de manière à ce que les localités riveraines et les divers usagers s’approprient ces infrastructures et durablement. Aussi, aura- t-on contribué à la formation de la citoyenneté rurale, gage d’un droit légitime d’un contrôle citoyen. Un certain aspect d’une bonne gouvernance.
le Khalif général des mourides : Les « mourides » constituent une confrérie islamo sénégalaise fondée par Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké à la fin du XIXe siècle, ayant à leur tête un guide appelé Khalife général
Magal de Porokhane : pèlerinage annuel dans la localité de Porokhane, située à 7km de Nioro et qui est la 2e cité religieuse des mourides