Par DAFF, Sidiki Abdoul (Dakar, avril 2000)
Le Nord-Mali correspond à l’espace géographique des trois régions économiques et administratives de Tombouctou, Gao et Kidal, soit près des deux tiers du territoire national avec environ 10 % de la population du Mali. Une bonne partie de la population est constituée de touaregs et de maures dont l’activité dominante est un nomadisme pastoral à travers la zone sahélienne et saharienne. Le Nord-Mali subit les effets de facteurs naturels défavorables, en particulier l’aridité, l’excentricité géographique, l’enclavement et le sous-peuplement. Une mauvaise gouvernance a pendant longtemps aggravé les effets négatifs de ces facteurs. En effet, déjà sous la période coloniale, le Nord-Mali était marginalisé car cette zone désertique ne présentait pas d’intérêt économique pour l’administration coloniale. Avec l’indépendance en 1960, cette marginalisation persiste car le Nord est considéré comme une zone lointaine, pauvre et sous-peuplée où les investissements, n’étant pas immédiatement rentables, ne se justifient pas.
Au plan militaire, le gouvernement malien doit faire face, dès l’accession du pays à l’indépendance en 1960, au Projet de l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) sur sa frontière Nord. Le projet de l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) dans le sud algérien, vise à rassembler tous les populations sahariennes ( berbères, touaregs et maures) éparpillés à travers les pays sahariens dont Mauritanie, Niger, Libye, Algérie, Haute Volta ( Burkina Faso actuel) et le Maroc. Ce projet par ses objectifs, pose en dernier ressort un démantèlement de certains états dont le Mali. Devant ce danger les premiers gouvernements du Mali ( 1960 à 1991) procèdent à la militarisation progressive du Nord-Mali où une fraction des populations encouragée par certains états maghrébins prennent les armes contre l’état central. Cette militarisation aggrave les abus et la mauvaise gouvernance car cette région est de fait sous la botte des militaires..
A partir de 1972, une sécheresse persistante s’installe dans la zone sahélienne. Ces populations du nord, qui sont des éleveurs transhumants perdent leur cheptel, un symbole de richesse économique et culturel. La solidarité nationale est bien en-deçà des attentes des populations. Pis, l’aide de la communauté internationale est détournée par certains gouvernants , pratique courante dans les pays sahéliens d’Afrique Occidentale. Les jeunesses, en particulier, se retrouvent sans occupation génératrice de revenu et sans perspective d’avenir. Des milliers de jeunes touareg émigrent vers la Libye où ils sont enrôlés dans la Légion islamique et reçoivent une formation militaire et idéologique.
Tous ces facteurs donnent aux population du Nord, un sentiment d’abandon par l’état ce qui favorise l’émergence d’un mouvement irrédentiste animé essentiellement par des jeunes qui déclenchent les opérations militaires à partir de 1990. La réponse face à cette revendication identitaire, est une répression violente et aveugle. Les régions du Nord, sont pratiquement sous état de siège, c’est à dire une suspension des lois et règlements ce qui installe dans un régime d’arbitraire. Mais cette option militaire s’avèrant inopérante, le gouvernement est obligé de négocier. Ces négociations interviennent dans un contexte où les maliens se sont débarrassés du régime militaire en mars 91 et sont engagés dans un débat national pour construire un état de droit et approfondir la démocratie. Dès le mois d’avril 92, le Pacte national de paix avec les Touareg est signé, promettant la fin de cette rébellion qui a entraîné l’exil de centaines de milliers de Touareg maliens. Le Pacte Natio
nale recommande l’intégration des ex-rebelles dans les services publics et dans les activités socio économiques, l’allégement du dispositif militaire dans les régions du Nord, la mise en oeuvre du programme de décentralisation avec un statut spécial pour les régions du Nord etc..
Au cours des négociations, les éléments de la rébellion obtinrent du Gouvernement le principe d’un traitement spécial intérimaire de leurs régions. Les instruments d’administration intérimaire mis en place par le Pacte dans cette partie du pays anticipaient la décentralisation. En effet, au plan institutionnel, ils mettent en place dans les différents circonscriptions de base, les arrondissements, un Comité Transitoire d’Arrondissement (CTA) qui associe à la gestion locale des parties concernées les populations à travers leurs leaders communautaires. Les collèges transitoires d’arrondissements ont été dans le Nord-Mali une première forme de responsabilisation des communautés dans la gestion de leurs affaires.
La décentralisation, assurant aux communautés rurales et urbaines des pouvoirs très importants d’auto-administration, d’autogestion et d’autopromotion, répond correctement à une revendication fondamentale des rebelles. Cette décentralisation signifie une plus grand déconcentration du pouvoir en faveur des régions du Nord par rapport au pouvoir central.
En effet la rébellion doit aussi être comprise comme une guerre pour une meilleure gouvernance qui pouvait s’étendre à l’ensemble du pays si rien n’était entrepris. En réalité le Nord sera le premier terrain d’expérimentation de la politique de décentralisation au Mali, qui plus tard sera étendu à l’ensemble du pays.