Implantation agitée d’un louma : une décision populaire déboutée sans ménagement par un sous préfet
Par NDAO, Insa (Nioro du Rip, mars 2009)
Dans la quasi-totalité des régions du Sénégal se tiennent quotidiennement et de façon tournante des marchés hebdomadaires appelés communément « louma ». Même les localités de moyenne importance dans les communautés rurales s’offrent cette opportunité. C’est ici le cas dans la localité de Ndiao Bambali, située dans l’arrondissement de Nganda, lequel est nouvellement érigé en commune à la fin de l’année écoulée. En effet, il y a quelques années, les populations du village s’étaient résolues à organiser un louma. Pour redynamiser la localité, accroître les échanges avec les agglomérations environnantes, revitaliser le patrimoine socio culturel, etc., la localité ayant joué dans le passé un rôle non négligeable, dans l’avènement et l’expansion de l’islam dans la sous région.
Eu égard à la répartition des louma de la contrée dans la semaine, les villageois s’accordèrent sur les jours de lundi ou, à défaut, le mardi, pour des raisons d’efficacité et de bonne réussite. Ainsi, la proposition adoptée fut soumise au Sous préfet de Nganda- autorité de tutelle- pour approbation. Mais, contre toute attente et sans consultations, ni explications, celui-ci choisit et imposa les vendredis pour la tenue du louma. Et comme la localité fut l’un des bastions et des foyers historiques d’un islam unitaire de résistance, les populations ne pouvaient souscrire à cette journée : le vendredi saint est consacré à la grande prière hebdomadaire. Mais le Sous préfet ne voulait rien entendre, sa décision étant irrévocable.
Des rencontres furent tenues en vue de le ramener à la raison. Rien n’y fit, le vendredi ou rien ! Les chefs de « carré » se réunirent alors autour du marabout. Des prières furent organisées et avec un rituel rappelant les pratiques anciennes.
Puis, comme si de rien n’était, les populations se donnèrent rendez-vous, le lundi suivant, à la place choisie à cet effet : le lancement du louma avait drainé un beau monde. Averti, le Sous préfet, qui avait pris des mesures conservatoires, envoya sur les lieux un petit détachement de forces de l’ordre pour disperser la foule. Mais c’était sans compter avec la faveur des forces occultes rangées du côté des populations restées sereines. Mystère : les agents dépêchés sur les lieux furent tous happés par une hystérie collective ; tous atteints d’une diarrhée inexplicable et inexpliquée détalèrent, à qui mieux mieux.
C’est ainsi que, pris de panique, le Sous préfet s’empressa de prendre un contre - ordre dans le sens voulu et proposé par les populations. L’organisation du louma de Ndiao Bambali restera à jamais gravée sous le sceau du lundi !
Dans l’univers africain, notamment dans ces zones marquées par la tradition, le chef (le détenteur du commandement) est censé être le garant de l’ordre social et spirituel. Et ces populations, héritières de pratiques occultes découlant des conceptions vitalistes, considèrent encore que la légitimité du chef procède de la religion, hier indigène, musulmane aujourd’hui : un domaine du sacré. Dans cette logique, tout agent de l’Etat en service dans ce contexte ne peut s’y soustraire. Peut-on minimiser toute tentative d’explication rationnelle tirée de la sociologie historique africaine ? Plus que jamais, les faits déclinés plus haut sont dans l’imagerie collective.
En tout état de cause, le Sous préfet a fait preuve d’autoritarisme et de mépris culturel. Il avait le loisir de regrouper toutes les parties prenantes, principalement les organisateurs de louma de la contrée en vue d’une harmonisation concertée.
L’espace de dialogue ainsi créé, qui n’exclut pas l’aspect religieux, aurait le mérite d’accoucher d’une décision d’intérêt général. Et l’on comprend pourquoi, dans de telles zones, les réunions mettant en dialogue les diverses légitimités commencent toujours par des prières rituelles aux fins d’une issue heureuse dans laquelle tous se reconnaîtront. Cela n’est pas en contradiction avec la démarche participative. Et loin s’en faut.
louma : marché hebdomadaire organisé sur l’initiative des populations, ici rurales, pour échanges commerciaux inter villageois et régionaux.
Sources de l’information : fiche, traduction de l’interview de l’auteur accordée à M. SECK