Une réalisation du parcours de bétail pressentie mouvementée : regards croisés ou simulacre de veillée d’armes ?
Par SECK, Mamour (Médina Sabakh, mai 2009)
Djiguimar, un village de la communauté rurale de Médina Sabakh est situé dans une zone connue pour ses activités pastorales et le dynamisme de son agriculture dans un contexte de raréfaction de terres disponibles et de crise alimentaire.
Grâce à un appui organisationnel de « Symbiose », partenaire stratégique, les acteurs –notamment éleveurs et agriculteurs - ont, non sans peine, convenu en 2008 d’un protocole d’accord approuvé par l’Exécutif local (Sous- Préfet). Lequel protocole, par le biais du « Penc » (cadre de concertation) revigoré par un financement du Conseil rural a décidé, entre autres, de la mise en place d’un parcours de bétail sur une longueur de 18 Km, à l’échelle de toute la communauté rurale dont Djiguimar. La mise en application dudit parcours corrélatif à une délibération, en 1995, du conseil rural et récemment remis à jour a été jusqu’ici différée. A la faveur de la réunion de validation du plan d’action du Penc survenue le 30 mai 2009 à Médina Sabakh, la question a été soulevée. Pour fixer les modalités de son imminente mise en place. En tant que partie prenante des travaux, j’ai été surpris de constater que le sujet est resté toujours sensible et l’objet de controverses. Autrement dit, les éleveurs et les agriculteurs, loin d’avoir des positions consensuelles, semblaient se regarder en chiens de faïence de par leurs déclarations. C’est ainsi qu’après la fin de l’examen et de l’adoption du plan d’action, je me suis proposé de m’entretenir avec les deux groupes, à tour de rôle, dans la même salle : l’objectif de cette fiche d’expérience.
Chaque porte - parole des deux groupes devait répondre au même questionnaire ; les éleveurs ayant réservé la primeur aux agriculteurs. Mais, pour des raisons de commodité, les réponses aux quatre (4) questions sont présentées successivement comme suit :
Q.1) - « J’ai constaté un déficit de dialogue entre éleveurs et agriculteurs de Djiguimar, qui pourtant sont condamnés comme par le passé à vivre ensemble. Quels sont les obstacles majeurs à un tel dialogue, voire à une convivialité ? »
D.D. (agriculteur) :
« C’est simplement dû à l’individualisme affiché par nos vis-à-vis. Qu’on en juge par leurs initiatives unilatérales tendant à vouloir tout accaparer en matière de gestion du terroir. C’est comme si la solidarité n’existait plus ! ».
A. D. (éleveur) :
« Aujourd’hui, du fait de la pauvreté des sols et de la possibilité d’utiliser du matériel agricole, nous manquons réellement d’espaces pour nos troupeaux. Il s’y ajoute que les arbres, pierres, reliefs, etc. qui, naguère servaient de repères pour le parcours du bétail sont constamment déplacés ou détruits par des malintentionnés pour semer la confusion».
Q.2)- « Avez-vous toujours foi en la fameuse délibération du Conseil rural, de 1995 ? Et pourquoi ? »
D.D. (agriculteur) :
« Non, pas du tout ! Cette décision n’a pas tenu compte des intérêts de notre groupe. D’ailleurs, bon nombre de chefs de village n’ont jamais été consultés à cet effet, les avis des gens n’ont pas été recueillis. D’où notre frustration ».
A. D. (éleveur) :
« Oui, parfaitement. Contrairement à ce qu’a dit notre parent dans votre entretien que j’ai suivi de bout en bout, les chefs de village ont bel et bien été mis à contribution. Ce qui avait abouti à la décision de réserver les zones des vallées (Khour, en wolof) au pastoralisme. Tout a été fait dans les normes ! ».
Q.3)- « Quelles concessions de taille vous auriez demandées à votre vis- à –vis de faire pour jeter les bases d’un véritable dialogue ? »
D.D. (agriculteur) :
« Le respect de la situation antérieure à la délibération et ce, conformément à nos pratiques anciennes de cogestion de l’espace agraire ; ce qui ne nous interdit pas d’utiliser les zones des vallées pour la riziculture pour un certain temps »
A. D. (éleveur) :
« Le strict respect des clauses de la délibération du Conseil rural ainsi que tantôt précisé. »
Q.4)- « Quel acte salutaire êtes- vous prêt à poser en faveur de votre vis- à- vis pour une solution consensuelle et durable à la question ? »
D.D. (agriculteur) :
« Œuvrer pour l’instauration d’un dialogue franc et sincère».
A. D. (éleveur) :
« Nous sommes prêts à participer massivement à la mise en place des bornes pour délimiter le parcours comme défini dans le protocole ».
A la fin de cet entretien qui est en quelque sorte un dialogue indirect des protagonistes, une voix apparemment neutre a préconisé une attitude de retenue. En prônant un esprit de dépassement et de compromis mutuel dans l’intérêt des générations futures et tout en bannissant l’esprit d’accaparement « et du beurre et de l’argent du beurre ».
Cet entretien illustre éloquemment le difficile dialogue entre éleveurs et paysans agriculteurs, eu égard aux intérêts divergents. Il révèle aussi le manque de prise en considération des réalités sociologiques avant la délibération évoquée du conseil rural. D’où nécessité d’un renforcement des capacités managériales des élus locaux, notamment des conseillers ruraux. Quand bien même le « Penc » aurait usé d’une approche participative et inclusive dans la mise en œuvre d’un protocole, un espace de dialogue intégrant la question dans une gestion plus globale de l’environnement ne serait pas de trop. Pourquoi ne pas inciter, par exemple, à la gestation d’une convention locale de la gestion de l’environnement et des ressources naturelles de toute la Zone de Médina Sabakh ? Avec l’appui des partenaires rompus à la tâche. En tout état de cause, la réalisation du parcours du bétail même effective aujourd’hui et sans heurts est un moyen et non une fin en soi dans la résolution globale des problèmes en termes de gestion communautaire des terroirs.
Le Penc est un cadre de concertation créé par les acteurs ruraux au niveau communautaire ; c’est une instance de participation des populations à la prise de décision ; c’est l’interface entre le conseil rural et les partenaires désireux d’apporter leur concours à la promotion du développement local dans la communauté rurale.