Et troupeaux, maîtres, élèves se disputent la cour de l’école !
Par BA, Mamadou (Porokhane, juin 2009)
La localité de Porokhane, une des onze (11) communautés rurales du département de Nioro, est située à quelque 7 km du chef-lieu départemental. Pour rappel, conformément aux textes législatifs et réglementaires, le conseil rural -organe délibérant de la communauté rurale- prend les décisions dans tous les domaines de compétences transférées. Il délibère ainsi en toute matière, notamment sur :
. le plan général d’occupation des sols, les projets d’aménagement, d’équipement ainsi que l’autorisation d’installation d’habitation et de campement ;
. la création, la délimitation et la matérialisation des chemins de bétail à l’intérieur de la communauté rurale, excepté les grandes voies relevant normalement de la compétence de l’Etat.
Mais si les textes sont clairs, leur application sur le terrain n’en est pas moins empreinte d’incohérences. A ce propos, en guise d’illustration, il est ici question de deux délibérations du même conseil rural, l’une portant d’abord sur un parcours de bétail et l’autre portant ensuite sur affectation d’un périmètre pour l’édification de salles de classe. Et comment ?
Suite à une demande motivée des éleveurs et pasteurs transhumants de la communauté rurale, un parcours de bétail fut arrêté par délibération du conseil rural, vers 1996. Ce parcours traverse, par endroits, une bonne partie de la zone dont le village de Keur Aly Samba situé à quelques encablures du chef-lieu de la communauté rurale,Porokhane. Chemin faisant, il convenait de construire en 1998 une autre salle de classe dans l’enceinte de l’école du village devenue exigue. Il fallait donc trouver un terrain pour agrandir l’espace. Et comme l’exige la loi, le Conseil rural, à travers la Commission Domaniale et celle de l’Environnement, devait indiquer l’endroit approprié. Bizarre : le choix fut porté sur l’espace initialement réservé au parcours de bétail. Et c’est ainsi que quelques conseillers s’en sont ouvert au directeur (l’auteur de cette fiche) pour intercéder en leur faveur auprès des éleveurs. Evidemment, une telle démarche n’entrant pas dans les prérogatives du directeur d’école, il leur fut opposé une fin de non-recevoir. D’autant que d’autres alternatives étaient possibles. Contre toute attente, après délibération en catimini du Conseil rural, la salle de classe fut construite avant la rentrée scolaire sur le chemin de pâturages que le même conseil avait auparavant tracé et matérialisé. Frustrés, les bergers et éleveurs ne désarmèrent point. Et comme si de rien n’était, un soir en début de l’année scolaire, les troupeaux, poussés par leurs gardiens, convergèrent tous vers le terrain de l’école- leur chemin habituel- subitement transformé en enclos. Le lendemain, l’on peut imaginer l’atmosphère ; les chèvres et les cabris, bêlant et se faufilant entre groupes d’enfants ahuris et angoissés ; les bœufs aux grandes cornes tentant d’occuper les salles. Aussi, ce jour - là point de cours, la sécurité des élèves était prioritaire !
Appartenant au même groupe ethnique que ces pasteurs, je ne pus rester indifférent.
Après d’âpres négociations, je parvins néanmoins à trouver avec eux une solution : organiser un passage des troupeaux à des heures sûres sans laisser le bétail élire domicile prés de l’école.
Ce bref récit conduit à plusieurs constats :
Certes, le Conseil Rural a délibéré sur un objet conforme à ses compétences. Mais, quant à la seconde délibération, soit elle a un soubassement caché et inavoué, soit elle relève d’une incompétence notoire. Il faut se rendre à l’évidence que le conseil, par ces deux décisions contradictoires, a réaffirmé une chose et en même temps son contraire.
Aussi, est-on tenté de croire à une désaffection déguisée de terres à des éleveurs tout en préservant des terres réservées aux cultivateurs dans une zone marquée par la rareté de réserves foncières. Car, comment expliquer la démarche anodine de conseillers auprès du directeur d’école aux fins d’influencer- au final, en vain- les éleveurs?
Ce cas illustre aussi le manque de formation des élus locaux. L’enquête a révélé que les élus locaux de l’époque étaient pour la plupart des cas des illettrés en français et étaient très peu pénétrés des textes et de leurs attributions rédigés en français. En l’espèce, la Commission domaniale et la Commission de l’Environnement, avec l’appui de certains services techniques devraient procéder au préalable à des visites de terrain pour collecter toutes les informations et données en vue d’éclairer les élus locaux avant toute délibération. Il ressort aussi de cette anecdote le manque et donc la nécessité de doter ces communautés rurales de plans cadastraux ruraux et de plans d’aménagement et d’occupation des sols.
Il apparaît clairement que l’instituteur de brousse n’a jamais été informé de la réunion du conseil rural qui avait pour objet de décider du lieu de construction de la salle de classe alors qu’il était informé des démarches en coulisse. Ce qui montre le caractère solitaire et non public des délibérations. Vu la proximité du village par rapport au lieu des délibérations, nul doute que cette délibération-là n’a pas été suivie d’un compte rendu normalement affiché sur les lieux et ce, conformément aux textes. Et chose incompréhensible : face à ces dysfonctionnements, l’absence de réaction du représentant de l’Etat censé parapher le registre coté devant contenir le Procès Verbal de la délibération.
Conseil Rural : organe délibérant de la communauté rurale composé de 46 conseillers, élus lors d’élections locales