Comment parler des Droits de l'Homme à une population rurale non alphabétisée sans tomber dans des abstractions incompréhensibles?
Par ATTAKLA-AYINON, Julien (Cotonou, mars 2001)
Le partenaire Béninois d'Agir Ensemble pour les Droits de l'Homme, l'ASSODIV ( Association pour le Développement des Initiatives Villageoises ) a mis au point depuis plusieurs année une méthode pédagogique originale de sensibilisation aux droits de l'Homme. Un membre de Agir Ensemble pour les Droits de l'Homme, qui a partagé pendant plusieurs semaines en juillet, la vie et les activités des membres de l'ASSODIV, relate une de ces étonnantes expériences " d'animations juridiques en milieu rural.
"La camionnette brinquebalante se trace vaillamment un chemin sur la piste défoncée. L'enchevêtrement des palmes et des broussailles se découpe dans la lumière des phares. Avec la nuit, la chaleur moite du jour est tombée, mais la poussière rend encore l'atmosphère étouffante. Nous sommes à peine à une cinquantaine de kilomètres de Cotonou la Capitale du Bénin, mais déjà en plein coeur de la brousse. Les membres de l'ASSODIV se rendent ce soir, dans un village reculé pour donner une séance "d'animation juridique" .
Lorsque nous arrivons sur la place du village, ils sont là, Hommes, Femmes et enfants, près de quatre-vingt personnes. C'est peu, estime pourtant José, l'un des membres de l'ASSODIV. Lors de certaines "animations juridiques" l'Association a rassemblé jusqu'à quatre cents personnes ! Après les salutations d'usage, ont décharge le précieux matériel: une télévision grand écran, un magnétoscope, un groupe électrogène. C'est le support indispensable à la méthode imaginée et expérimentée depuis quelques années par l'ASSODIV.
Comment en transmettre les valeurs fondamentales comme les Droits de l'Homme à des villageois en grand majorité analphabètes? L'image vient au secours du discours et le rend infiniment plus intelligible. Les membres de l'ASSODIV écrivent les scénarios, mettent en scène et réalisent de petits films vidéo sur des thèmes relatifs aux Droits de l'Homme, qui sont ensuite projetés dans le village. "Ces séances de ciné" hors du commun rencontrent un intérêt indéniable. Bien sûr, il y a, pour ces villageois dont aucun ne possède de télévision, l'attrait du "spectacle" et celui d'une distraction inhabituelle. Mais la présentation du message le rend immédiatement accessible, suscitant intérêt, questions et de débats.
Les vidéos présentent des histoires inspirées de faits réels. Les acteurs professionnels ou amateurs (plusieurs sont membres de l'ASSODIV) sont stupéfiants de naturel et la réalisation technique très soignée. Toutes les vidéos tournées dans la langue locale, le Fon et plusieurs sous-titrées en français. Les thèmes abordés sont variés et ont un rapport étroit avec les préoccupations concrètes des villageois: le mariage forcé des jeunes filles, la nécessité de l'état civil, la divagation des animaux, les pratiques de détention arbitraire etc.
C'est ce dernier thème qu'aborde la vidéo ce soir devant les villageois attentifs. L'histoire est vivante, le contenu jamais lénifiant et si le message est didactique, une bonne dose d'humour tempère l'aridité de certain développement. Le débat qui suit la projection va être l'occasion d'aborder de nombreux sujets: celui de l'impunité, du recours au système judiciaire, des règles légales de garde à vue et des mandats d'arrêt ou de dépôt, de la corruption, de la police etc.
Les réactions animées du public en disent long sur l'intérêt qu'il a pris à la projection mais aussi sur les difficultés de la tâche à laquelle se sont attelés les membres de l'ASSODIV. Dans ce village de brousse, comme vraisemblablement dans des centaines d'autres villages à travers le Bénin, l'habitude de se "faire justice à soi-même" et la défiance , souvent largement justifiée, à l'égard de la police et de la justice sont solidement ancrées. Pourtant les étonnements, les questions, les réflexions des villageois démontrent que, très certainement, les mentalités et les pratiques peuvent évoluer.
Si les membres de l'ASSODIV ont développé un travail si "proche du terrain", c'est qu'ils sont eux-mêmes partis prenante du quotidien des villageois pour lesquels ils travaillent. C'est quelques femmes et hommes dans la trentaine, dont la plupart ont fait des études supérieures, ont décidé il y a plusieurs années, de s'installer en milieu rural pour y vivre leur engagement au service des droits de l'Homme. Organisés en une petite communauté, une sorte de "phalanstère familial", les membres de l'ASSODIV surviennent à leurs besoins en cultivant une petite plantation. A l'ASSODIV, on mange ce qu'on récolte! On vit aussi de ce qu'on sème : pas de bonne parole qui s'envole à tous vents, mais de ces graines fragiles que sont le désir de justice et de dignité, semées dans la terre aride de la brousse mais dont la récolte s'annonce déjà prometteuse."