Par YAMEOGO, Luther
Ce que révèlent les paradigmes de l’ajustement structurel, de démocratisation ou l’idée de bonne gouvernance qui les sous-tend, c’est la nécessité que les Etats africains assument les tâches élémentaires de souveraineté qui leur incombent et que leurs administrations soient efficaces; Mais, cette redéfinition du rôle de l’Etat et des modes d’articulation entre le centre et la périphérie, pour séduisante qu’elle puisse sembler, ne va pas sans susciter de multiples interrogations, nonobstant la conviction pour les bailleurs de fonds que la décentralisation est la panacée à l’essoufflement de l’Etat, et la convenance conduisant à l’application des procédures de dévolution des fonctions de l’Etat aux collectivités locales, que nos dirigeants mettent tant de zèle à exalter.; Les chercheurs africanistes restent persuadés qu’il faut résorber les questionnements suivants : ; - le repli, plus ou moins organisé, du pouvoir central sur les positions minimalistes que lui concède l’idéologie ultra-libérale dominante est-il concevable, sinon réaliste, dans les contextes africains que caractérisent très largement le déficit d’institutionnalisation de l’Etat, la faiblesse des appareils politiques locaux et l’inexpérience, voire l’inexistence d’élites politiques locales ? ; Dès lors, peut-on décentraliser, c’est-à-dire dessaisir le centre de ses fonctions de régulation et de redistribution au bénéfice de collectivités locales insuffisamment préparées à les recevoir et à les exercer, sans aggraver les déséquilibres socio-économiques et ethno-régionaux existant et sans mettre en péril, ce faisant, l’existence même l’Etat ? ; - la gestion participative (communautaire)inhérente aux politiques de décentralisation conduites en Afrique, est-elle porteuse d’une implication authentique et responsable des populations dans les affaires de la cité ? constitue-t-elle réellement le creuset de la démocratie locale et de la cristallisation d’une conscience citoyenne, ou bien n’est-elle qu’un palliatif au désengagement de l’Etat, un mode de gestion des ressources adapté aux rigueurs de l’ajustement et dont la finalité est d’amortir les effets, au sein des couches sociales les plus défavorisées, de l’austérité budgétaire en leur donnant l’illusion d’être partie prenante des décisions qui engagent leur devenir ? ; En ce qui concerne l’expérience burkinabé en matière de décentralisation, elle semble avoir trouvé une voie originale. Comme les autres pays au Sud du Sahara, elle tire justification de la carence étatique mais est aussi tributaire des incitations des bailleurs de fonds internationaux. En dépit de ces déficiences, le processus tient compte des réalités socio-politiques et économiques nationales et locales.; On constate notamment un foisonnement de formes d’expression et des organisations très diverses (des ’ ententes ’, des comités de gestion, des groupements villageois, des ensembles religieux_)dont la trame dessine un réseau relationnel d’une grande densité sur lequel le processus en cours prend appui.; Assurément, la Commission Nationale de Décentralisation (CND)mène avec sérieux et prudence un travail à long terme mais le processus ne doit pas dégénérer en un procès de dé légitimation de l’Etat dont le ’ besoin ’ a été réaffirmé avec force. Pour répondre à nos précédentes interrogations, la CND tente de réguler la répartition des ressources financières sans lesquelles les communes sont condamnées à l’immobilisme, de veiller à ce que le fossé entre Ouagadougou et le reste du pays s’amenuise, et donc réduire les disparités entre centre et périphérie.; Autrement dit, la concentration de l’essentiel des ressources administratives, financières, politiques doit être corrigée, faute de quoi il y a risque de voir exacerber l’opposition pays légal et pays réel, ce qui serait préjudiciable à la démocratie burkinabé.
Commentaire : Il est incontestable que la réflexion sur la décentralisation au Burkina Faso comme ailleurs en Afrique, est influencée par les thèses dominantes sur le désengagement de l’Etat. Ainsi, la décentralisation fait figure d’instrument de réduction du poids de l’appareil étatique par rapport aux contraintes du marché. La perspective gestionnaire inhérente à cette approche lui confère un triple objectif : une meilleure efficacité des services publics, une réduction des dépenses publiques par un transfert aux collectivités décentralisées et une exigence de responsabilité plus grande (accountability).
Nous montrons ici que l’équilibre entre besoin d’Etat et capacité locale se fait par le test de la subsidiarité : qui fait mieux quoi ?
La décentralisation est donc en elle-même un défi au vu des problèmes qu’elle pose (formation des élus locaux, fiscalité, répartition de compétences)et tente d’éviter une césure entre le pays légal et le pays réel. L’expérience burkinabé tente de surmonter ces écueils mais nous croyons être passés de l’euphorie à un optimisme mesuré en passant par le désenchantement. Ce texte est une belle invite à poursuivre la réflexion.