Par KOUYATE, Siriman (2002)
La Charte de Kurukan Fuga de 1236, essentiellement orale, a été convoquée après que le mandé se fut libéré du joug de Soumaoro KANTE, le Roi Sosso. Après cette libération, Soundjata Kéïta artisan de la victoire convoqua une rencontre de ses alliés pour fixer les règles de fonctionnement de la nouvelle entité politique à créer. Kurukan Fuga a posé les grands principes devant régir la vie du grand peuple mandingue dans toutes ses composantes et sur tous les aspects : organisationnel, économique, culturel, environnemental, etc.
Cette Charte, mieux que les déclarations qui lui sont postérieures, a la particularité d’avoir résisté au temps et aux vicissitudes de l’histoire (traite négrière, colonisation ..). En effet, la Charte de Kurukan Fuga continue de régir de nos jours tous les peuples ayant appartenu au grand manding du moins pour ce qui est de l’organisation de la société, la gestion des conflits, la division du travail, l’hospitalité, la coexistence pacifique et la tolérance.
Convoquée au lendemain de l’historique bataille de Kirina qui a vu la défaite de l’armée Sosso par le Manding primitif et ses alliés, la Charte de Kurukan Fuga s’est tenue sous l’égide de Soundiata KEITA, tombeur de Soumaoro KANTE.
Les délégués convoqués pour la Charte étaient les représentants des douze tribus qui devaient plus tard constituer les douze Provinces de l’empire manding. A ces délégués, il faut ajouter les représentants familles princières et les tribus des marabouts et des nyamakalas ( les gens de caste) . Les femmes n’étaient pas en reste dans le rassemblement parce qu’elles y prirent une part active à travers quatre représentantes.
Trente miradors furent construits sur la clairière de Kurukan Fuga pour servir de sièges à l’intention des délégations. L’ensemble des miradors formait une circonférence au centre de laquelle s’élevait un dernier mirador plus haut que les autres, occupé par le griot Balla Fasséké KOUYATE, le porte-voix et le porte parole de Soundjata.
Après les remerciements adressés par le roi du Manding à tous les peuples qui avaient uni leurs efforts pour la reconquête de leur liberté perdue, les Chefs de Provinces auxquels Soundiata avait rendu leurs zones d’influence respectives firent tous allégeance et le proclamèrent empereur du grand manding. La première fédération des peuples noirs venait de naître, ils l’appelèrent Empire du Mali. Après la proclamation de l’empire, le reste du temps fut consacré à des discussions où chacun pouvait donner son avis en vue de mettre sur pied un ensemble de règles devant régir la vie du grand manding. A l’issue des discussions, une Charte de 44 articles fut adoptée. Aucun domaine de la vie des hommes n’a été occulté : l’organisation sociale, les droits et les devoirs de la personne humaine, l’exercice du pouvoir, les droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux, la place des femmes dans la société, la famille, la gestion des étrangers, la préservation de la nature, la conservation et la transmission de l’histoire, tout y passa.
Parmi les sujets débattus et les résolutions adoptées, il y en a qui eurent et qui continuent d’avoir un impact certain sur la vie quotidienne de tous les peuples de culture mandingue. C’ est le Sanankunya ou cousinage à plaisanterie. Le Sanankunya ou cousinage à plaisanterie a un champ d’action plus étendu parce qu’il est intimement lié au nom patronymique des clans concernés. Entre eux, les Sanankuns ( les cousins à plaisanterie ) ont tous les droits et peuvent tout se permettre, à la limite de la décence bien évidemment. Ils n’ont pas besoin de se connaître d’ailleurs et la seule évocation de leurs patronymes respectifs suffit à décrisper les situations les plus délicates.
Au Mandé le Sanankunya ne fut pas un phénomène imposé à telle ou telle tribu vis-à-vis de telle ou telle autre. Il s’est établi selon les affinités entre les clans et les tribus au fil de leur existence quotidienne et a fini par s’imposer avec le temps. Au même moment, il a fini par imposer une ligne de conduite, une discipline à plusieurs générations de mandénkas, même après la désintégration de l’empire mandingue à la fin du 15ème siècle.
Aujourd’hui encore, dans tous les peuples de culture mandingue, principalement au Mali, en Guinée et au Sénégal, le Sanankunya demeure une arme extrêmement efficace pour la gestion des conflits entre les communautés. Si le Sanankunya avait pu s’établir entre les Etats, il aurait résolu beaucoup de conflits. Il nous appartient à nous africains de tirer bon parti de cet élément inestimable de notre culture lequel n’existe nulle part ailleurs pour essayer d’asseoir les bases d’une forme authentiquement africaine de gestion de nos conflits.
Aussi, des principes d’organisation et de gestion administrative édictés dans la Charte peuvent aujourd’hui aider certainement à résoudre certaines difficultés auxquelles les processus de décentralisation sont confrontés dans nos pays.