Par Boubacar Cissé Fall (Dakar, Sénégal, octobre 2006)
Rufisque est une Commune située à une trentaine de kilomètre de Dakar. Elle a une très longue tradition politique qui en a fait une des quatre communes de plein exercice du Sénégal avec Saint-Louis, Dakar et Gorée, au temps de la colonisation. Cette tradition politique est marquée par un niveau d’engagement très remarqué des populations en général dans les luttes politiques et cela se vit de façon très évidente pendant les campagnes électorales. Les campagnes sont le moment de débats houleux à tous les coins de rue, de débats passionnés et assez souvent très houleux. Mais ces moments sont aussi très souvent marqués par des luttes fratricides entre militants de partis différents mais hélas aussi et assez souvent, entre militants d’un même parti mais de tendances différents.
Ces conflits et les cassures générées jusque dans les familles ont progressivement entraîné une certaine aversion vis à vis de la chose politique, surtout dans les franges de populations jeunes, scolarisées et les intellectuels. Cette attitude à laissé libre champ dans le milieu politiques aux pratiques tendancieuses, à la « gouvernance des intérêts personnels » plutôt qu’à une gouvernance pour la satisfaction de l’intérêt général. Ces attitudes sont bien évidement allées avec le développement du clientélisme politique et l’exclusion des citoyens des sphères de décisions et des cadres de concertation les choix stratégiques et la définition des politiques locales.
Au lendemain de l’alternance politique survenue en 2000 et qui a mis fin à quarante de présence au pouvoir d’un parti, une prise de conscience a commencé à s’opérer au niveau des populations. Celles-ci ont commencé à se poser des questions et à remettre en question le type de rapport qui les lie à la chose politique et aux politiciens. Cette prise de conscience qui est en fait le résultat du même processus de maturation qui a rendu l’alternance possible a permis à des franges de populations jusqu’ici inactives sur le champ politique ou qui s’en étaient isolées, à se repositionner dans celui-ci en revendiquant le statut d’acteur politique.
C’est ainsi qu’est né le Front Social Rufisquois. Il est parti de l’initiative de quelques jeunes vivant dans le même quartier qui, au détour de leurs conversations se sont rendus compte de leur peu de poids dans la vie politique dont ils étaient pourtant l’élément essentiel. En effet, c’est par leur vote que les responsables politiques sont élus et c’est à eux que sont censées profiter les politiques élaborées et mises en oeuvre par les élus qui accèdent au pouvoir par leur suffrage. Or les autorités, une fois élues se détournent de la base qu’ils constituent et les postes occupés leur servent plus à satisfaire des intérêts partisans ou individuels. Cette situation a suscité un sentiment de révolte chez ce groupe de jeunes qui au bout de leur réflexion en sont arrivés à la conviction qu’ils étaient en fait quelque part responsables de leur situation du fait de leur passivité et de leur non engagement. Suite à beaucoup de discussions, la décision de créer une association est prise, Le Front a été porté sur les fonds baptismaux en 2002 avec comme slogan « Khaméwou gnou ko woon nii » en wolof, dont la traduction littérale en français donnerait approximativement qu’ «on ne le savait pas ainsi » . Ce slogan marque la prise de conscience de ce groupe de jeune quant à la pleine mesure du rôle et de la place qui étaient les siens dans le jeu politique local.
Tout de suite le bouche à bouche aidant, des jeunes d’autres quartiers se joignent à l’initiative dont la raison d’être principale demeurait la réflexion sur leur situation faite essentiellement de difficultés liées :
au chômage,
à un cadre de vie malsain marqué par l’absence de plan d’aménagement réel, le manque d’assainissement, la non existence d’infrastructures socioculturelles et sportives,
une indifférence manifeste des autorités locales dont les actes posés visent plus des dépenses de prestige, un train de vie élevé des institutions locales devenues des lieux de reclassement de la clientèle politique ; etc.
Cette extension du mouvement est passée par la mise en place de cellules dans cinq quartiers parmi les plus grands de la ville.
Ces acteurs, avec leur seule volonté en bandoulière en sont arrivés à un moment où ils devaient se compter. L’option d’organiser une journée de réflexion sur la situation des jeunes et le niveau de prise en compte de leurs préoccupations par les autorités municipales est prise. C’est là qu’est apparue leur limite essentielle à savoir qu’ils n’avaient pas les moyens pour prendre en charge les frais d’organisation de cette rencontre. Pour contourner cette difficulté ils se lancèrent dans une recherche de mécènes. Pour ce faire, ils s’approchèrent de plusieurs personnalités dont le Maire de la Ville et des leaders politiques.
Auprès du Maire, ils se heurtèrent à une fin de non recevoir car selon lui, leur initiative était politique et était le fait d’une manipulation politicienne. C’est auprès d’un leader politique appartenant au même parti que le Maire qu’ils trouveront une écoute favorable et un appui qui a consisté au financement intégral de la journée de réflexion qui a été jugée porteuse par les participants mais dont la production n’a pas été formalisée et consignée dans un document.
Suite à cette manifestation des querelles ont eue lieu entre les leaders originaux du mouvement sur l’opportunité de descendre sur l’arène politique et de se faire parrainer par ce leader qui les avait appuyé. Des fissures commencèrent ainsi à apparaître dans le ciment originel de l’association : la dénonciation de la forme de politique basé sur des relations de clientélisme. Entre temps, le Maire qui avait appris la tournure des événements et l’appui apporté à ces jeunes par son « frère de parti » et rival, chercha à renouer le contact avec l’association dont les leaders refusèrent de répondre à son appel. Cette attitude fut jugée par son camp comme une descente sur le terrain de la politique politicienne de ces jeunes et leur affiliation à la tendance adverse.
C’est dans ce climat de tension que le Front décida d’organiser un concert pour, à la fois, offrir une manifestation culturelle à la jeunesse et trouver des ressources pour leurs activités futures.
L sponsoring de leur mécène de la première heure leur fut acquis d’office mais uniquement sur certains postes de dépenses. A cette difficulté de boucler le budget de la manifestation, vint s’ajouter une lenteur inhabituelle dans l’instruction de leur demande d’autorisation d’organiser une concert qui n’est tombé que cinq jours avant la date retenue pour la manifestation et suite à l’intervention de certaines autorités coutumières de la ville auprès du Maire. Mais la Surprise est venue la veille du concert avec l’annonce à grand renfort de publicité que le Maire offrait à la jeunesse de la Ville un concert gratuit animé justement par l’un des artistes retenus pour animer le concert organisé par le front. Qui plus est, le show offert par le Maire se tenait dans un jardin public situé au centre de la ville contrairement au stade choisi par le front pour son concert qui est assez éloigné du centre ville. Le glas était ainsi sonné pour la manifestation du Front Social Rufisquois qui fut annulé du fait de cette concurrence, avec la perte de tous les investissements consentis.
Suite à cela, la dispute entre responsables du Front atteint son summum et il s’ensuivit une suspension des activités, le temps d’y voir plus clair.
A l’analyse de cette expérience, deux constats majeurs s’imposent :
Ø Une initiative citoyenne au départ, à payé les frais de l’opposition d’un Maire avec son rival, le premier ayant mis sous le pied son devoir de promotion de la recherche et de la satisfaction de l’intérêt général, au profit de ses intérêts individuels. Mais cela a été rendu possible du fait ;
Ø Les initiateurs de ce mouvement ont fait montre d’un amateurisme illustré par :
La non capitalisation des produits de leur journée de réflexion
L’absence d’une option politique ou apolitique clairement énoncée
La non formalisation des rapports que l’association pouvait avoir ou non avec les politiciens et la chose politique
Leur manque d’expertise sur la gestion des initiatives citoyennes.