règlement d’un confit larvé entre paysans autochtones et un immigré à Santhie Kohel
Par NDIAYE, Kodé (Nioro du Rip, septembre 2008)
Suivant la conception négro africaine, la terre est un patrimoine collectif sacré et inaliénable. Elle constitue un ciment d’unité pour la communauté familiale des morts et des vivants, un enjeu politique, un prestige social dans le ressort du terroir que celle-ci contrôle. C’est pourquoi plusieurs réformes se sont succédé. Au lendemain de l’indépendance, la quasi-totalité de la superficie du territoire national était encore placée sous le régime du droit coutumier, mais avec de nombreuses plaintes qui atterrissent dans les tribunaux de 1961 à 1964. La loi 64 – 46 du 17 juin 1964 relative au domaine national promulguée divise le domaine national en quatre catégories : les zones urbaines ; les zones classées ; les zones pionnières et les zones des terroirs gérées, sous l’autorité de l’Etat, par le Conseil Rural (organe légal pouvant délibérer en la matière) dans des conditions fixées par décret.
L’Etat a voulu démocratiser l’accès à la terre et en même temps favoriser sa mise en valeur. Malgré toutes ces mesures, des conflits surgissent dans les campagnes. Ce fut le cas de Santhie Kohel, village pulaar situé dans la communauté rurale de Kayemor. Il s’agit d’un immigré d’origine guinéenne, ancien exploitant de bois et charbonnier de profession qui pendant 42 ans a résidé dans le village et a réussi à occuper 35 Ha de terres sans avoir les capacités d’assurer directement ou avec l’aide de sa famille la mise en valeur.
Mais il avait soumis les terres à un marché foncier par location, en échange de redevances perçues, des prestations de travaux, voire des dîmes sur les récoltes ou partage des récoltes pour assurer ses charges familiales.
Quelques années plus tard, la situation est devenue de plus en plus insupportable pour les autochtones qui ont fini par saisir le Conseil Rural de Kayemor en 1995. La moitié des conseillers ruraux décide de désaffecter ces terres et de les réaffecter aux autochtones. Mais l’autre partie des conseillers, dont je faisais partie, sensible au problème s’oppose à la décision de retirer toutes les terres, mais plutôt de lui affecter une partie devant correspondre à ses possibilités d’exploitation, tout en préservant ses droits d’occupation dans un délai de plus de 5 ans prévu par la loi.
Quelques jours plus tard, un recours fut introduit à la Sous-préfecture qui décide finalement l’attribution de 5 Ha à l’exploitant forestier.
Aujourd’hui, si on continue de parler de plus en plus de l’intégration africaine sur le plan de la gouvernance, sur le plan économique et sur les mouvements des populations, l’acquisition des terres de cultures constitue une épine dorsale pour les producteurs comme pour les conseillers ruraux que nous sommes. Au niveau des frontières comme à l’intérieur des pays il se pose un problème de sécurisation des investissements.
Cette expérience, parmi tant d’autres, se révèle un cas illustrant les difficultés inhérentes à l’application des lois. Pendant près d’un demi-siècle, voilà une personne qui s’est révélée inapte à exploiter de façon conséquente et à mettre en valeur un espace terrien. Donc, le droit d’usage que lui confèrent les textes devrait être révoqué.
Par ailleurs, la loi sur le domaine national lui interdit toute forme de transaction de la terre. Un autre motif de disqualification.
Somme toute, cet aspect de mauvaise gouvernance locale est la cause de ce conflit larvé. D’autant plus que s’y greffe un problème complexe entre autochtones et allochtones. Sans parler de sa mauvaise exploitation de l’espace floral (charbon de bois) conduisant à une dégradation de l’écosystème. Comme quoi, même le niveau local peut bien être le lieu de prédilection d’une gestion clientéliste et de renforcement de privilèges de certains groupes si l’on n’y prend garde.
Santhie Kohel est un des 23 villages de la communauté rurale de Kayemor
Pulaar : une des langues nationales du Sénégal, langue des peuples peulh largement répandus en Afrique.
Kayemor : communauté rurale située dans le département de Nioro du Rip, zone agricole au cœur du bassin arachidier sénégalais.