Par DIOP, Kéba (Nioro du Rip, février 2008)
La scène se déroule dans un petit village dénommé Daga Diogob (communauté rurale de Taïba Niassène, département de Nioro du Rip, région de Kaolack). Comme presque partout dans le « pays » traditionnel du Saloum, la zone n’a cessé d’être un lieu d’accueil de cultivateurs et d’immigrants. Mais, aujourd’hui, le contexte de rareté de terres arables et de pauvreté a créé une nouvelle situation dans la gestion des terres.
Les acteurs : il s’agit de deux braves cultivateurs de même patronyme (Barry) O. B. et S. B., respectivement âgés de 30 ans et 25 ans, tous fils de paysans. Leurs parents en quête de terre de culture sont venus s’installer dans ce terroir, vers les années des indépendances, à la faveur d’une longue pérégrination en provenance de la Guinée limitrophe. Pendant des décades, ces parents ont cohabité et exploité deux champs contigus et se sont tissé des relations fraternelles. Vers les années 1997, le champ du père de S. B. s’est vu amputer une bonne partie en raison du processus accéléré de l’érosion hydrique ; une véritable route crevassée ainsi créée dans le sens de la longueur laissant sur un de ses flans une largeur de quelque 10 mètres. Au point que le « propriétaire » se résolut à céder à son frère d’à côté tout le restant. Ainsi, le père de O. B. se fit prier d’exploiter l’existant « utile ». Peu de temps après, le père de S. B. décéda. Mais la mère de S.B., témoin de ces tractations livra ces informations à son fils devenu majeur. Dès lors, S. B. se sentit injustement dépouillé de ses « biens », d’autant plus que la famille de O. B, s’attendait cette année à une récolte prometteuse en mil, en maïs et autres.
Poussé peut-être par la jalousie, S.B. ne trouva pas mieux en cette fin de septembre 2008 que de faire raser purement et simplement sa « partie » et sans avis préalable. Au moyen d’un engin lourd. Ce désastre mit tout le village en émoi. Jamais de mémoire de villageois pareille forfaiture ! On imagine le courroux de O. B. qui vit une bonne partie de son labeur se transformer en feu de paille. Le conflit éclata. Des formes de représailles et même des menaces de mort se murmuraient en conclave par la partie adverse. Fort du danger qui planait au-dessus du village, la population tenta de réconcilier les deux familles. Mais, en vain. Tout au plus, une trêve fut acceptée. Néanmoins, tout le monde savait que le pire pouvait arriver. Et à la moindre incartade. Malgré l’intégration des Barry dans le nouveau tissu social des autochtones, aucune autorité du village n’était en mesure de trouver une solution acceptable et durable au litige, quand bien même la famille de O. B. aurait décidé de ne plus toucher un grain de sable se trouvant sur la partie incriminée.
C’est par la suite que l’espoir s’orienta en direction de la Guinée Conakry, au niveau des chefs supérieurs de lignée des Barry.
C’est ainsi qu’un des chefs du clan fut dépêché dans ces lieux. A son arrivée, il rassembla les notables locaux pour se présenter et exprimer ses remerciements pour l’accueil réservé aux Barry. Les deux « frères ennemis » semblaient même oublier ce qui était arrivé. Le patriarche, après avoir rappelé le principe sacro saint de cette forme de parenté pluriséculaire adossé sur la foi en un ancêtre ancien certes disparu mais resté plus que vivace dans les esprits, n’eut aucune peine à faire enterrer la hache de guerre. Au grand bonheur des populations de voir les « ennemis » s’embrasser comme si de rien n’était. Et tout rentra dans l’ordre.
Cette expérience montre que la résolution des conflits n’est pas forcément l’apanage des autorités exécutives et mêmes décentralisées. La connaissance des réalités sociologiques et historiques est une des sources les plus sûres en la matière. Dans les sociétés africaines, en l’occurrence guinéennes, les liens lignagers, ethniques peuvent bien l’emporter sur la loyauté envers les autorités étatiques et mêmes coutumières du pays d’accueil. Car, malgré les apports extérieurs, sommeille en chaque individu africain ce sentiment profond d’appartenir à une même communauté de sang (famille élargie, clan, ethnie). Et cette parenté de sang peut mobiliser chaque fois que le chef supposé légitime apparaît.
C’est là que ces valeurs se révèlent, dans une certaine mesure, plus importantes pour certains citoyens que les liens civils. Ainsi, le sentiment de sécurité et de paix intérieure que les populations puisent dans le groupe social est nettement plus vital qu’à l’égard des autorités exécutives ou décentralisées.
On comprend alors pourquoi une telle légitimité « exportée » apparaît ici plus efficace que les légitimités locales, notamment pour des populations allogènes, fut-elle de dernière génération.