Le choix concerté d’un terrain pour logement d’utilité publique
Par SECK, Mamour (Nioro du Rip, décembre 2008)
Nous sommes à Nioro, vers la fin de l’an 1959, peu avant l’indépendance du Sénégal. L’école française commence à y faire ses marques depuis son implantation en 1896. Paradoxalement, le directeur de l’école ne dispose pas, jusque - là, de résidence officielle fixe. Tour à tour, le fonctionnaire affecté se trouve hébergé, en simple qualité de locataire, dans une des concessions réputées les plus décentes. Eu égard au contexte d’une période coloniale finissante, il s’avérait nécessaire de construire la résidence du directeur d’école. Mais où ?
Certes, les terrains disponibles sont légions ; les sites habitables sont des « propriétés » de familles claniques dans un régime domanial coutumier. Qu’il eût été plus normal apparemment de trouver un « donateur » ou un « mécène » à même de céder gracieusement un lopin de terrain à usage d’habitation au profit de l’administration, aucun doute. Mais le Commandant de cercle s’est gardé de choisir seul tel ou tel endroit, préférant plutôt s’en référer au maître coutumier des céans. L’agglomération de Nioro, alors considérée comme une et indivisible entité a à sa tête un chef d’escale ; le vocable de chef de village étant impropre en raison du rôle historique de la localité au niveau national et de sa relative importance démographique : le marabout M.N B. jouissant d’une légitimité de par sa descendance lignagère et de par sa formation, héritant de toutes les fonctions spirituelles - voire temporelles dans une certaine mesure-, exerce à ce moment cette fonction.
Celui-ci a préféré trouver un lieu « neutre »qui, dans un futur immédiat ou lointain, ne puisse susciter ni arrière-pensées, ni rancœurs ou revendications des générations à venir. C’est ainsi qu’auparavant, au hasard de la vie, la demeure d’un garde cercle venu d’ailleurs fut la proie d’un incendie accidentel emportant même la vie des occupants. Le terrain, situé à quelques encablures de l’école et resté longtemps inhabité, a été finalement « acheté » par le chef d’escale. Et c’est justement ce terrain que le chef d’escale, avec l’assentiment et du commandant de cercle et des notables et des différents chefs de carrés, a cédé sans contrepartie à l’administration pour l’édification du logement du directeur d’école, aux frais de l’état. Les travaux sont achevés peu avant la rentrée scolaire de 1959-60.
Depuis cette date, plusieurs directeurs se sont succédé. Et rien n’est venu troubler la quiétude des habitants du logis.
Mais aujourd’hui, cette résidence n’est plus la propriété de l’Etat. En effet, le logement est revenu à un directeur d’école natif de la localité avant la fin de son service. Peut-être en toute légalité. Peu importe !
Il apparaît, de cette petite anecdote, que l’exécutif local dans un contexte colonial, en dépit de sa puissance d’alors, s’est soucié à dessein d’associer le chef d’escale dans la gestion des affaires locales, somme toute banales : choix d’un site pour l’intérêt général et en aucun cas, il n’a été question d’exproprier un résident.
Par ailleurs, le chef coutumier, en bon visionnaire n’a pas porté son choix sur une propriété d’un natif du coin dont les descendants pourraient plus tard avoir une certaine visée à rebours. C’est là une manière de dépersonnaliser la chose publique et de façon pérenne. Qu’adviendrait-il aujourd’hui si l’un des descendants autres que ceux de l’ancien chef d’escale s’évertuait, le cas échéant, à vouloir récupérer ce logement pour immortaliser la présence de ses ascendants sur ces lieux ? Par contre, c’est avec fierté que les descendants du chef d’escale relatent aujourd’hui les faits.
Enfin, cette question a été gérée de façon consensuelle et transparente par toutes les parties prenantes, en vue d’une solution durable.
Interview recueillie auprès de l’imam, fils de l’ancien chef d’escale de Nioro
Autonomie interne: période de 1958 à 1960, une transition vers l’indépendance au cours de laquelle le Sénégal était territoire autonome au sein de la communauté franco-africaine.