L’administration judiciaire traditionnelle de la ville de Kidal permet une meilleure délivrance de la justice axée sur les acceptations socio- culturelles, donc plus efficace et plus efficiente.
Par Ambroise DAKOUO (Kidal, février 2009)
La ville de Kidal, chef lieu de la huitième région administrative du Mali se situe au Nord du Mali. La ville de Kidal comprend une population estimée à 25 000 habitants, pour une superficie de 10 000km2, soit une densité de 3 habitants au km2. Cette population est constituée essentiellement de kel tamacheq, cependant on dénombre également la présence de différents groupes ethniques dont les maures, les sonrhais, les bambaras, etc. La principale activité de la zone demeure l’élevage de type transhumant de camelins, de caprins et d’ovins ; toutefois on note que le commerce et l’artisanat se développent de façon satisfaisante. La principale religion dans cette localité est l’islam. Les habitants de la ville de Kidal sont essentiellement des populations nomades qui s’identifient à travers des tribus. Ces tribus sont administrativement organisées au sein des groupes appelés fractions. La fraction étant une société tribale. La population majoritaire de la ville de Kidal qui est les kel tamacheq, qui sont réparties en quarante (40) fractions. Juridiquement, la fraction est la composition de cent (100) familles désignant à sa tête un chef de fraction et cinq (5) conseillers.
La prégnance de l’islam est très forte dans la zone, d’ailleurs, on estime à plus de 98% de la population d’obédience musulmane. C’est ce qui fait que le Droit musulman prévaut comme base juridique pour le règlement des litiges. En effet, l’administration traditionnelle locale fortement structurée, fonctionne suivant l’application de ce Droit et aussi des coutumes locales généralement basées sur la recherche du consensus. A Kidal, la pratique des activités (élevage) sont très souvent pourvoyeur de conflits dont les protagonistes pour des raisons de mœurs revendique l’avantage du règlement, quitte à user des différents recours qu’offrent l’administration judiciaire traditionnelle. Un conflit posé en 2005, lié la revendication de la propriété d’une dizaine de chèvres explique à souhait cette réalité. Les animaux dont ils s’agit faisaient l’objet du dispute ente deux éleveurs (membres de la fraction Ibilbitiyan) qui réclamait tous la propriété totale des animaux. Les animaux dont ils s’agissent, étaient déclarés perdu par leurs propriétaires et avaient été retrouvés une semaine plus tard par une tierce personne. N’ayant pu se mettre d’accord, les deux protagonistes ont été voir leur chef de fraction ; qui constitut avec ses conseillers, dans l’administration judiciaire traditionnel, le premier intervenant dans le règlement des litiges entre les membres d’une même fraction. Ce dernier sur la base des investigations et des argumentations de chacun qui n’apportaient pas cependant de preuves convaincantes et irréfutables de leur propriété des animaux ; a donc décidé du partage équitable des animaux en question. En effet, la base de son règlement émane de la coutume locale qui prévoit en pareille situation le partage des biens dont ils s’agit. Les protagonistes, n’étant pas satisfait du règlement car chacun d’eux réclamait la propriété totale des animaux, ont porté l’affaire chez le cadi de la ville. Le cadi dans l’administration traditionnelle locale représente le recours central dans la gestion des litiges. Ce dernier après avoir pris connaissance de la décision rendue par leur chef de fraction, a également entendu les deux parties, et a fait menée une investigation par des témoins crédibles. En effet, la revendication de chaque partie se basait sur les initiales M.I. que chacun prétendait avoir porté sur les animaux, dans les faits on retrouvait également ces mêmes initiales sur le restant de leur animaux respectifs. Aucune différenciation possible ne pouvant être opéré afin de déterminer la véracité des propos de chacun, le cadi a alors rendu son verdict égal à celui de leur chef de fraction sur la base des normes coutumières qui prévoit en la matière la recherche du consensus, donc le partage équitable des animaux entre les deux parties. Suite à son jugement, le cadi a remis à chaque partie un acte de son jugement comme il procède d’ailleurs pour chaque litige dont il participe au règlement. N’étant pas toujours satisfait du règlement les protagonistes décidèrent alors d’user du dernier recours qu’offre l’administration judiciaire traditionnelle, qui se trouve être le chef traditionnel. Ainsi, l’affaire fut porter devant le chef traditionnel de la ville (il est le chef de toutes les fractions présentes dans la ville de Kidal). Le chef traditionnel, dans le règlement des litiges est assisté par ses conseillers, au besoin il fait appel à des personnes ressources (crédibles) qui mènent les investigations nécessaires au règlement du litige. Le chef traditionnel, au constat des faits et après lecture du document que leur avait délivré le cadi, a rendu son verdict en décidant du partage équitable des animaux, et à recommander à chacun la différenciation des marques sur les animaux.
La confiance en leurs autorités traditionnelles et l’acceptation de leurs valeurs coutumières ne permettaient pas aux protagonistes de récuser ce dernier recours. Acceptant ce jugement qui ne fut point en contradiction des autres jugements rendus par les autres instances traditionnelles, les animaux furent partagé de façon équitable entre les deux parties. Par ailleurs vue la nécessité de rétablir l’entente et la quiétude entre les deux parties, le chef traditionnel leur a vivement recommander de faire la paix. Ainsi donc, les deux membres de la fraction Ibilbitiyan se sont mutuellement demandés pardon preuve de la fin du litige.
Le recours aux différentes instances dans le règlement du litige n’est point une contestation des acteurs qui les incarnent, mais plutôt un moyen pour les protagonistes de souhaiter à travers ce cheminement un règlement en leur avantage. D’ailleurs en dépit de leur référence aux différentes instances traditionnelles, les protagonistes ne dépassent que rarement le cadre de l’administration judiciaire traditionnelle pour le règlement de leurs litiges. Dans la ville de Kidal, les acteurs religieux et traditionnels sont fortement impliqués dans la délivrance de la justice. Cette justice traditionnelle constitue une alternative à la justice moderne dont les populations locales n’intègrent pas et ne reconnaissent pas totalement l’impartialité. Au Mali, l’existence d’un tel mécanisme juridique n’est pas prévu par la loi, cependant il n’y ait pas également prohibé en ce sens qu ‘il provient des pratiques socio- culturelles des populations ; qui d’ailleurs y ont toujours recours pour le règlement de leurs différends sociaux.
Cette fiche est issue de l’entretien avec Monsieur Kaida HARBERT, résident à Kidal (Mali),Enseignant à la retraite (Personne ressource). La supervision a été assurée par Monsieur Djibonding DEMBELE (correspondant thématique) et par Madame Néné KONATE (Médiatrice de l’ARGA/ Mali).