Par Bruno Doti Sanou (2008-06-09)
Depuis la fameuse conférence des chefs d’Etat d’Afrique et de France tenue à la Baule le 9 avril 1990 où la démocratisation du pouvoir fut posé comme principe directeur des régimes politiques, la décentralisation s’est imposée à l’Afrique et la plupart des Etats se sont appropriés le processus et ont procédé à la mise en place des institutions indispensables à sa réalisation. Certes depuis lors, le processus est ininterrompu mais déjà on peut constater son essoufflement dans plusieurs pays notamment francophone et pour cause :
Le manque d’expérience. En réalité, les colonies françaises ont connu une lenteur dans la mise en œuvre d’une véritable politique de développement communal car les colonies de l’Afrique occidentale française (A.O.F) et de l’Afrique équatoriale française (A.E.F) n’étaient pas des colonies de peuplement. En outre, les conditions d’accès au statut de commune de plein exercice promulgué par la loi du 05 avril 1884 étaient si sélectives qu’avant la fin de la seconde guerre mondiale en n’en comptait que quelques unes. En A.O.F il n’y en avait que quatre: Gorée, Dakar, St Louis et Rufisque. Par exemple la colonie du Haute-Volta n’avait que deux communes mixtes de premier degré, Ouagadougou et Bobo-Dioulasso érigés le 4 décembre 1926 et dont les membres de la commission municipale étaient nommés par le chef du territoire. Les représentants sujets français dans la commission n’avaient pas souvent de l’influence sur les décisions, ne parlons pas du dialogue entre légitimités puisque les colonisés subissaient le statut de l’indignât. Il n’était d’ailleurs pas rare que l’administrateur - maire se substituât à la commission. En 1936 la commune de Ouagadougou est supprimée.
La véritable participation à la gestion des affaires locales interviendra progressivement avec l’avènement de l’Union française à partir de 1946. La loi du 18 novembre 1955 distingue d’une part les communes de plein exercice avec l’élection au suffrage universel des conseils municipaux et des maires et d’autre part les communes de moyen exercice où le maire est un fonctionnaire nommé. En 1958, la mise en place d’un exécutif territorial favorise l’érection de plusieurs communes dans les colonies francophones. En Haute-Volta par exemple les villes de Banfora, Koudougou, Ouahigouya et Kaya furent érigées en communes. Cette expérience est arrêtée en 1959 et les conseils municipaux remplacés par des «délégations initiales» chargées de préparer les futures communes.
Après les indépendances en 1960, l’expérience communale fut de très courte durée dans plusieurs pays suit à des coups d’Etat et à l’instauration des régimes d’exception. La véritable expérience ne date que des année «90». Dans ces conditions, une cohabitation des différentes légitimités reste encore à concevoir, à mettre en œuvre et à promouvoir.
Dans toutes les collectivités territoriales en Afrique, différentes légitimités et législation cohabitent mais communiquent très peu. Au Burkina Faso par exemple, nous comptons au nombre de ces légitimités, le conseil municipal et son maire, le conseil paroissial et son curé, la communauté musulmane et son imam, le pouvoir villageois et son chef de village, dans certain cas le responsable de l’Eglise protestante. A cela il faut ajouter des institutions tels l’école et autres centres de formation, les Organisme non gouvernementaux et les associations de développement tels les comités villageois de gestion des terroirs, les groupements de gestions forestières, etc.
Au niveau des pouvoirs modernes et traditionnels chacun a sa législation et très souvent l’une entrave l’autre ou la neutralise. Pour une cohabitation plus harmonieuse qui soit vecteur d’un développement local, il est nécessaire de réunir certaine conditions.
Tout d’abord, il faut un autre regard sur les différentes légitimités, une reconnaissance de chacune d’elle dans son fondement et dans son fonctionnement. Cette reconnaissance est urgente et impérative pour ce qui concerne les légitimités traditionnelles qui ont beaucoup à apporter au processus actuel. L’histoire révèle que les processus en permanent dialogue avec le passé sont ceux qui dure le plus. Ne dit-on pas que quand passe les souffles de l’histoire, il faut se tenir debout et si possible debout ou encore à l’école de l’histoire des hommes et des peuples on sort toujours gagnants. Ce qui suppose une recherche sur les politiques traditionnelles et sur les coutumes et une formation appropriée des acteurs. Les Africains devraient être capable aujourd’hui d’actualiser les coutumes et la gestion du pouvoir traditionnel afin de permettre un réel enracinement du processus. Cela éviterait à n’en pas douter une instabilité des textes facteur de fragilisation du processus de décentralisation. Un tel projet exige des hommes de changement à la tête des exécutifs locaux et dans les rouages des pouvoirs traditionnels et religieux, des hommes qui ont foi au processus et engagés résolument dans sa mise en œuvre.
La cohabitation des légitimités est aussi conditionnée par une refondation de l’administration qui doit passer de l’administration de commandement à l’administration de management et de changement. Bref une administration de transformation sociale de qualité dont les grandes reformes s’appuient sur les consultations populaires. Pour cela, il faut éviter si possible des textes étrangers souvent caducs qui ne peuvent aider à l’émergence d’une administration de développement.
Il faut également placer la commune dans une perspective d’intégration nationale, sous-régionale, et régionale afin de permettre à chaque collectivité de s’enrichir des autres expériences et de participer ainsi à l’universel. Il est également impératif de se placer dans une perspective de la démocratie participative qui somme toute ne s’oppose pas à la démocratie représentative qui est pratiquée aujourd’hui par l’ensemble des pays.
La mise en œuvre du processus de décentralisation, la mise en place des institutions et structures décentralisées, et l’organisation régulière des élections sont un acquis pour plusieurs pays africains. Cependant pour ce qui concerne leur fonctionnement normal, le chemin est encore long. L’une des chances de succès de ce processus, ressort principiel de tout développement reste le dialogue entre les différentes légitimités et l’intégration des législations en place. A partir du moment où les Etats ont exprimé leur foi en ce processus malgré les difficultés dans sa mise en œuvre les différent acteurs devraient trouver les moyens nécessaires au dialogue franc afin de permettre à tous les citoyens de ‘s’engager résolument dans la transformation de leur collectivité. La décentralisation est un héritage de civilisation comme source principielle de toute vie en communauté. Elle est si fragile qu’il faut éviter de la galvauder et de la handicaper en excluant certains acteurs compétents.