Quand l’incompétence professionnelle conduit au drame

Une technique fatale !

Comme la plupart des communautés rurales du Saloum, celle de Paoskoto est mal lotie dans le domaine de la santé publique. En effet, elle ne dispose que de deux (2) postes de santé pour l’ensemble de ses 132 villages. Et si, par enchantement, le personnel médical nécessaire existerait sur place, la qualité des soins et la compétence du corps médical restent en deçà des espérances des populations et des normes requises. Pour s’en convaincre, voici une anecdote bizarre qui illustre un aspect de la situation. Mais, pour éviter toute personnalisation de l’affaire, il nous paraît inconvenant de préciser le poste de santé en question.

Un soir, une brave dame en « travail » est conduite au poste de santé où exercent deux (2) sages- femmes ou matrones. Qui sait ?

Pour mémoire, elles font partie des agents de santé communautaire recrutés par la collectivité locale et son comité de santé. A pareille heure, elle en trouve une de garde ; l’autre devant prendre la relève plus tard comme indiqué dans le planning dressé par l’Infirmier Chef de Poste (ICP). La future nourrice est accueillie dans une salle sommaire faisant office de salle d’accouchement. Qui manque durablement presque de tout. Malgré les apparences d’un accouchement imminent, la dame enceinte semble résister, restant couchée sur le dos. Les heures des prolongations se suivent face à l’impatience de « l’accoucheuse ». Et, sentant l’horloge égrener son temps de service, elle décide de précipiter les choses. D’un saut brusque, elle s’abat sur le ventre de la patiente en le pressant du poids de tout son derrière. Comme un écolier obéissant au traditionnel « debout assis », notre « experte » répète à l’envi le geste, malgré les grimaces et les gémissements de la pauvre dame. Jusqu’à ce que le nouveau-né soit violemment sorti des entrailles de sa mère et que mort s’en suive laissant cette dernière se tordre de douleur dans une totale détresse. Fort heureusement, elle n’en succombe pas pour autant ! Ainsi, une espérance de vie s’est envolée en laissant une mère en survie, laquelle rescapée traînera certainement des invalidités causées par les complications d’un accouchement aussi rocambolesque. Semble t-il, notre « accoucheuse » voulait à tout prix allonger la liste de ses « prouesses » pour légitimer sa présence dans la structure sanitaire. Une façon de damer le pion à sa consoeur rivale.

Evidemment, pour des raisons socio culturelles, aucune plainte n’a été déposée contre la « sage- femme ». Tout sera mis sur le compte de la fatalité et l’affaire sera simplement ébruitée sous cap, çà et là. Et en toute impunité, l’agent de santé, livré à sa conscience en tirera les enseignements à sa façon.

Commentaires

Cette tragédie, somme toute banalisée, est une parfaite illustration de l’impunité qui caractérise le service de santé publique et des dysfonctionnements du comité de santé, notamment dans la mauvaise gestion des ressources humaines en personnel médical.

L’ICP n’a pas du tout ignoré ce qui s’est passé. Or, contrairement au comité de santé, la gestion technique du poste de santé fait partie de ses prérogatives. Et, comme le dit le vieil adage, qui ne dit rien consent. Donc, l’on comprend aisément que l’affaire soit restée classée sans suite sur les plans administratif et pénal. Souvent agent du personnel fonctionnaire affecté dans une zone censée ne pas être sa région d’origine, l’ICP évite de se créer des ennuis sociaux. D’où son penchant à s’aligner sur des positions touchant à la cohésion sociale, au grand dam de l’éthique et de la déontologie de la profession.

Recrutés par la communauté rurale et quelquefois par le biais des Associations de quartiers, les agents de santé communautaires le sont souvent sur des bases du clientélisme et non de la qualification. D’ailleurs, selon les statistiques, les naissances avec l’aide d’un personnel qualifié atteint à peine 47% au Sénégal. Donc, en milieu rural, c’est rare de trouver un agent communautaire qualifié, notamment en matière de maternité. En effet, leur niveau de formation initiale s’avère hélas trop bas. Avec la floraison d’écoles privées de formation de santé non contrôlées, la qualité est devenue, on ne peut plus douteuse. Il s’y ajoute que, face à la modicité du fonds de dotation de la santé et des difficultés de mobilisation de fonds par la Communauté rurale, ces agents sont mal payés et non motivés. Les enquêtes révèlent que leurs émoluments sont largement en dessous du minimum légal, le Smig (Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti). Il arrive même que certains ne reçoivent que des salaires de misère, voire des primes en quelque sorte. Et comme s’ils n’étaient que des bénévoles et ce, en violation des dispositions du guide du comité de santé eu égard à la clé de répartition des recettes de la structure sanitaire. Ce qui, du reste, arrange les finances du comité de santé ayant pourtant pour mission d’encourager la participation communautaire par l’implication des populations à la gestion de la santé. Mais, un comité de santé quelque peu entamé par des conflits d’intérêts personnels et dans une certaine indifférence d’un Etat dont la manière de se désengager est critiquée à tort ou à raison.

Pour finir : une employée de santé communautaire ne relevant pas statutairement de l’ICP est gérée par le comité de santé, lequel comité n’étant pas hiérarchiquement dépendant de l’ICP se trouve sous sa tutelle uniquement sur le plan technique. Si cette employée bénéficie de solides complicités au sein du comité de santé, alors ses manquements seront-ils révélés au grand jour ? D’où nécessité de renouveler autant que faire se peut le comité de santé. Par ailleurs, vu la faiblesse du niveau de formation des conseillers ruraux et du manque d’autonomie financière des conseils ruraux, serait- il contre nature de faire fixer- en attendant la mise en place de fonctions publiques locales dignes de ce nom- par l’Etat les conditions et les modalités de recrutement des personnels qualifiés du secteur aussi sensible que la santé, fût –elle une compétence transférée ?

Notes

Smig : Salaire minimum interprofessionnel garanti (qui s’élève actuellement à 47 500francs CFA)

Le taux des 47% : Cf. Population Référence Bureau ; World Population Data Sheet, etc.

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