Par Tikpi Atchadam (Lomé, juillet 2009)
Evolution des pouvoirs du chef traditionnel
Chez nous ici comme ailleurs dans les autres régions, le chef a été affaibli d’abord par le colon et ensuite par les autorités d’après les indépendances. Ici dans la région centrale, nous avions un royaume qui était très organisé sous l’autorité d’un chef suprême appelé roi-dieu (« Ouro Isso »).
Aujourd’hui, ce n’est plus comme avant. Il y a du désordre. La chefferie n’a plus le pouvoir qu’on lui connaissait du temps de nos parents.
Propositions : Il faut restaurer la chefferie dans ses rôles les plus fondamentaux en commençant par la justice. Nous avons trop de problèmes aujourd’hui.
Cohabitation du chef traditionnel avec les autres légitimités
Pour moi, la légitimité la plus ancienne doit avoir le dessus sur les nouvelles légitimités. Le maire et le préfet sont arrivés seulement hier. Le chef était là depuis des siècles. Malgré ce qu’on peut dire, les populations appartiennent d’abord au chef traditionnel. Le maire peut être changé comme le préfet. Mais le chef est là.
Pluralisme juridique
Avant, c’est le chef qui était le seul juge. Aujourd’hui, le chef juge, le juge juge, le commissaire juge, le commandant de brigade juge, etc.
Mais pour moi, il y a des domaines comme le vol, les accidents de la circulation, le meurtre, le viol les trafics de tout genre qui peuvent passer devant le juge. Le problème c’est que le juge intervient sur les questions liées à la terre. Or, il ne connaît rien de nos terres. Par exemple, comment un juge qui n’est pas de notre milieu peut départager deux communautés en conflit sur une portion de terre ? Est-ce qu’il connaît nos forêts, nos fleuves, nos rivières, l’emplacement de nos fétiches etc. Il ignore tout des règles de propriété en vigueur dans notre tradition. Il veut appliquer le droit des blancs et ça ne colle pas.
Nos parents ont accepté l’installation d’étrangers sur nos terres pour les travaux forcés institués par les colons. Après les travaux forcés, ces gens-là sont restés pour faire les champs. Aujourd’hui, ces étrangers veulent vendre les terres. Et le juge pense que le fait pour eux d’avoir vécu plus de trente ans sur ces terres, fait d’eux des propriétaires. Ca ne peut jamais marcher. C’est l’éternel problème entre le village de Kadambara (autochtone) et le village de Kpario habité aujourd’hui par des étrangers. Le juge ne peut trancher une affaire comme celle-ci. Mais il s’en est saisi. La justice nous met en difficulté. Pendant de longues années, de telles affaires vont et viennent entre le chef et le juge sans trouver de solution définitive. Celui qui a tort chez le chef va voir le juge et celui qui a tort chez le juge revient voir le chef.
Assez souvent, comme le juge ignore notre histoire, les parties et les témoins le trompent. Ainsi, il prend des décisions qui ne durent pas. Dans la préfecture, nous avons beaucoup d’affaires de terres qui traînent depuis très longtemps.
C’est le cas en ce moment concernant le litige entre Kadambara et Alakpadè, deux villages autochtones. En effet, ces villages se disputent une portion de terre. Les chefs traditionnels ont tranché en faveur d’un partage du terrain litigieux entre les parties. Le village de Kadambara rejette l’idée de partage et porte l’affaire au tribunal. Le juge prend l’affaire alors que ce sont les chefs qui connaissent les limites naturelles des terres. Seuls les chefs savent qui est arrivé avant qui. Cette affaire dure aujourd’hui quarante (40) ans.
En plus de ce litige, nous avons les affaires suivantes : village de Kadambara contre village de Dibouidè ; village de Birini contre village de Dibouidè ; village de Kpalada contre village de Aguidagbadè, pour ne citer que celles-là. Moi je pense que les juges doivent laisser les chefs traditionnels faire leur travail. A Tchaoudjo, nous avons le chef supérieur, les chefs cantons et les chefs de village. Les problèmes fonciers peuvent être réglés dans ce cadre.
Propositions : Les juges doivent se mettre à l’écart des problèmes fonciers. Le chef doit en avoir l’exclusivité. On pourra, à la limite, considérer la cour du chef comme le premier degré de juridiction en matière foncière. Dans ce cas, au second degré le juge devra tenir compte de la décision du chef. S’il arrivait que le juge remette en cause la décision du chef, le litige devra retourner devant le chef pour réexamen.