La prise en charge des talibés de Nioro, un cas d’école
Par GUEYE, Cheikh.Tidiane (Nioro du Rip, juillet 2009)
Un bref rappel permettant de comprendre le contexte actuel : Nioro est une localité réputée pour son passé religieux et son rôle historique dans l’implantation et l’expansion de l’islam dans toute la Sénégambie. Terre d’accueil, de refuge ou d’escale de la quasi- totalité des illustres personnes ou leurs descendants placés à la tête des principales confréries du Sénégal moderne, Nioro s’est longtemps révélé une destination privilégiée de migrants (en provenance de toute la sous- région) en quête de terres de cultures. Il s’y ajoute une position stratégique liée à sa proximité avec la république de Gambie.
Peut-être plus ici qu’ailleurs au Sénégal, l’éducation et l’instruction de l’enfant s’effectuaient essentiellement dans la daara (école coranique) dirigée par un maître à la fois enseignant, éducateur, chef religieux. Au terme de leur formation, les talibés (l’apprenant, l’élève de la daara) issus de ces structures étaient alors censés suffisamment armés pour transmettre la science coranique, les valeurs spirituelles et préparés à la vie active. Voilà la vocation initiale et pérennisée des daaras. Mais, force est de constater que, au fil des décennies, des prétendues daaras prolifèrent à Nioro avec leur cortège d’enfants mendiants venus de toutes parts. Avec des pratiques totalement situées aux antipodes des daaras familiales et traditionnelles jusque- là connues. Ce qui a suscité un grand émoi et poussé les gardiens et les défenseurs des valeurs du patrimoine local à s’unir pour faire un diagnostic de la situation. Ce travail a été facilité par le professionnalisme de l’organisation locale SYMBIOSE dont les membres, en sus de leur cursus universitaire occidental, ont été moulés dans le système islamo traditionnel décliné tantôt. Ainsi, à la suite de plusieurs ateliers organisés en commun par Symbiose et les maîtres coraniques, ces derniers ont créé une association dénommée « Dooléel daara », c’est-à-dire « Appuyer, voire maximiser les daaras ». Une association structurée, reconnue légalement avec ses statuts et règlements et récépissé. Dans leur plan d’action, il a été question de mener des actions administratives, diplomatiques en vue de promouvoir un statut du talibé digne de ce nom, le but étant de l’assimiler au moins au même niveau que l’élève de l’école (française) publique en termes de droits et devoirs civiques.
C’est fort de cela que des démarches ont été initiées auprès du préfet, des services techniques, déconcentrés et décentralisés, notamment des responsables des structures sanitaires de la commune. Partout, les vœux ont été exaucés. Constatant que les élèves des écoles publiques ont toujours bénéficié de la gratuité et du facile accès aux consultations et aux soins, l’association a demandé et obtenu les mêmes droits pour les talibés de ses adhérents. Aujourd’hui, c’est un acquis.
En effet, le talibé malade se présente au centre sanitaire avec le carnet de la daara affiliée à l’association. Après vérification, il est entièrement pris en charge en termes de consultations, de soins, et même de médicaments disponibles. C’est là une avancée qui, du reste, n’est que juste réparation.
Avant : dans un même pays, deux systèmes éducatifs avec des traitements différents par les autorités, c’était selon ! Donc, un système de santé à géométrie variable pour les enfants d’une même nation. Avec le poids religieux, leur détermination organisationnelle, leur légitimité plus ancrée dans la mémoire collective, les maîtres coraniques ont pu influer sur le cours de l’histoire locale. Et aujourd’hui : à Nioro, une même considération, un même traitement dans le secteur de santé des enfants scolarisés, au-delà des systèmes éducatifs différents.
Mais, il convient de noter que, de par sa démarche participative et responsable, l’empreinte de Symbiose a été capitale. D’autant que ladite organisation, après enquêtes et étude, a déjà confectionné un document fouillé et pertinent portant sur « Les enfants mendiants dans l’agglomération de NIORO ». Ce que lui a valu d’être choisi comme point focal des programmes sur cette question, lors d’un Comité de Développement Départemental (CDD) spécial.
Gageons que ces acquis en direction des talibés seront le prélude à d’autres mesures tendant à améliorer la situation des daara et à stigmatiser en même temps les comportements déviants sous les oripeaux des anti valeurs non islamiques.
L’auteur de cette fiche, Cheikh Tidiane Gueye est Imam d’une des nombreuses mosquée de Nioro. Il est par ailleurs Maître d’une daara.
Daara : ici, c’est un endroit (une structure) où l’on dispense une éducation, un savoir islamique de façon régulière à travers les générations.
Talibé : l’apprenant (élève) de la daara
CDD : comité départemental de développement convoqué par le préfet du département auquel participent tous les services compétents