Par Tikpi Atchadam (Lomé, novembre 2009)
Les Tém sont un peuple de la région centrale du Togo qu’on retrouve au Bénin et au Ghana, pays voisins. C’est une société à Etat avec un gouvernement, une armée et une justice. La justice rendue par la cour du roi se charge de régler les conflits nés. Mais à côté d’une justice très hiérarchisée avec des degrés de juridiction, il y a des mécanismes permettant d’éviter le conflit dans la communauté.
L’un des mécanismes, en plus de « Sonkindè » et de « Bastêrê » connu dans ce peuple, est « Kivarou ». Qu’est-ce que c’est que cette institution ?
En effet en pays tém, dans la semaine qui suit le décès d’un vieillard, il est de coutume d’organiser une manifestation de rue. Les femmes et les jeunes se rassemblent dans la cour du chef et parcourent les rues en passant de maison en maison pour proférer des insultes à l’adresse des personnes âgées, souvent le chef de famille. Pendant le tour du village, il arrive parfois aux manifestants de tomber sur une maison où le chef de famille ou le patriarche est un homme très important ou très influent dans le village. Ce peut être un notable ou la deuxième personnalité du village après le chef ou un patriarche de quartier.
Les femmes de la maison ne sont pas concernées par les insultes, étant donné qu’elles ne sont pas de la maison, ce que les Tém appellent « le vestibule ». Les insultes sont adressées au vestibule ; or on sait que dans cette société qui pratique l’exogamie, la femme n’est pas du même vestibule que son époux.
Les injures en question portent sur un comportement que la société reproche à cette personnalité. « Kivarou » donne l’occasion aux populations (femmes et jeunes) d’adresser, à travers des injures, un reproche à une personnalité, ce qu’elles ne peuvent faire en temps normal. Si la société reconnaît par exemple qu’une personnalité est corrompue, l’insulte conçue dans la chanson qui lui est adressée le mentionne très clairement. Il ne s’agit pas d’allusions. Les termes sont sans équivoque. Si le personnage est reconnu pour sa paresse, sa méchanceté ou pour être un homme bagarreur, une personne couverte de dettes, la chanson le dit sans ambages.
Par exemple, un vieillard qui vit seul dans un grand vestibule, pendant que des membres de la famille plus jeunes sont déjà décédés, est traité de sorcier. On lui rappelle dans le même temps qu’il doit supporter la solitude qu’il a contribué à créer. On le traite d’une victime responsable. Les manifestants rappelleront à un propriétaire terrien avare qui a vendu de nombreux terrains (des hectares) et qui vit dans une petite case, sa cupidité et son inconsistance. On rappellera à un vieux, la vie dure qu’il mène aux épouses de ses enfants par son comportement.
A ces insultes, l’intéressé n’a pas le droit de s’énerver. Au contraire, il doit sortir de la maison, se montrer, esquisser quelques pas de danse et même donner de l’argent aux manifestants en train de l’insulter.
Il faut noter que des représentants de vestibule sortent pour protester quand les manifestants dépassent leur maison sans leur adresser d’injure. Dans ce cas, ceux-ci sont obligés de revenir et entonner des chants injurieux.
Notons que le chef du village n’est pas épargné par les manifestants. Etant donné que le point de départ de la manifestation est la cour du chef, c’est à lui que les manifestants s’en prennent en premier, avant de commencer par parcourir les artères de la localité. On peut lui reprocher son impartialité dans les jugements, ses prises de position sur telle ou telle question importante de la cité. A l’endroit du chef, les injures relèvent essentiellement de la politique et de l’éthique.
La même manifestation est organisée à la mort d’un chef de village ou à la mort du roi. Cette fois, ce sont les jeunes et les personnes mures et quelques femmes qui participent à la manifestation. Dans ce cas, les manifestants ont le loisir de tuer les animaux domestiques qu’ils croisent sur leur passage.
Cette institution permet aux populations de se défouler et de dire ce qu’elles pensent de leur chef, d’autres personnalités et de ceux qui sont supposés être les sages du village. C’est une occasion de moralisation de la vie publique et sociale, de rappel et d’appel aux valeurs qui fonde la société.