L'Afrique du Sud gagne une bataille contre les trusts pharmaceutiques

Les firmes pharmaceutiques renoncent à poursuivre en justice le gouvernement sud-africain qui a autorisé l'usage des médicaments génériques dans la lutte contre le SIDA

L'association des industries pharmaceutiques a dû renoncer le 19 avril 2001 à poursuivre un procès très impopulaire qu'elle avait engagé en 1997 contre le gouvernement sud-africain, coupable à ses yeux d'avoir édicté des lois sanitaires autorisant les entreprises locales à produire des traitements contre le SIDA, ou à les importer, sans passer par les brevets des grandes compagnies.; Pour mesurer la portée de cette victoire sud-africaine qui aura des implications, non seulement pour toute l'Afrique mais plus généralement pour tous les pays pauvres, il convient de rappeler qu'existe au sein de l'Organisation Mondiale du Commerce une série d'accords dits ADPIC (TRIPs en anglais): 'aspects des droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce' , auxquels les pays adhérents à l'OMC doivent se soumettre. Selon ces accords, il n'est plus possible de produire un médicament ou de l'acheter à l'étranger sans verser des royalties au propriétaire de l'invention, et ce pendant vingt ans après la date de l'invention.; Le SIDA en Afrique : une urgence sanitaire même pour l'OMC; Cependant, les ADPIC prévoient des clauses d'exception : en cas d'urgence sanitaire notamment, tout gouvernement peut recourir aux 'licences obligatoires' qui permettent de fabriquer un produit sans accord de l'inventeur, et aux importations parallèles qui permettent d'acheter un produit là où il est vendu le moins cher. C'est cette clause d'exception que le gouvernement sud-africain a décidé d'invoquer à juste titre en 1997 pour autoriser la production et la commercialisation de médicaments génériques. En effet, rappelons des chiffres désormais tristement connus : 35 millions de personnes dans le monde sont séropositives, dont 25 millions en Afrique. En 2000, 2,4 millions d'Africains sont morts du SIDA : ou, si l'on préfère des chiffres plus frappants, 6000 personnes meurent chaque jour du SIDA en Afrique.; Il y a 1,3 million d'enfants infectés par le VIH et environ 1 million d'entre eux sont Africains.; L'espérance de vie en Afrique, qui était de soixante ans il y a peu, est tombée à quarante.; Le pays le plus touché est justement l'Afrique du Sud avec 4,7 millions de personnes séropositives, c'est-à-dire à peu près 10 pour cent de la population.; Les malades du SIDA, en Afrique et dans les pays pauvres en général, ne peuvent se soigner car les traitement coûtent trop cher : en Europe et aux Etats-Unis, une année de trithérapie coûte de 20 000 à 30 000 $. Avec les médicaments génériques, le coût de ce traitement est inférieur à 400 $ par an.; Les firmes pharmaceutiques ont baissé la garde contre une opinion publique internationale qui s'est mobilisée en faveur de l'accès de tous aux traitements, suite à une campagne lancée en juillet 2000 depuis la Conférence de Durban par les activistes sud-africains, parmi lesquels Treatment Action Campaign dont le président Zackie Achmat avait qualifié l'organisation protectionniste défendue par les firmes pharmaceutiques d''holocauste contre les pauvres'.; 'La protection des vies humaines doit passer avant celle des brevets'.; En 1997, lorsqu'elles s'étaient opposées à la toute nouvelle loi sud-africaine, les industries pharmaceutiques pouvaient compter avec le soutien des Etats-Unis et de l'Union européenne. Mais au fur et à mesure que le problème se déplaçait d'un aspect strictement réglementaire (respect de l'accord ADPIC)à des questions plus fondamentales telles que le droit à la santé des plus démunis, l'industrie accusée de jouer le profit contre la santé perdait ses appuis. Des petiitons internationales comme celle de Médecins Sans Frontières sur le thème 'la protection des vies humaines doit passer avant celle des brevets' a recueilli 270 000 signatures dans plus de 130 pays ; les protestations publiques de personnalités comme celle de Nelson Mandela (à l'origine de la loi)ou de Kofi Annan, secrétaire général de l'ONU, ont fini de la discréditer.; Sans le procès de Prétoria, les malades africains du SIDA auraient dû attendre 2005, date de la chute dans le domaine public du premier brevet de la zidovudine de GlaxoWellcome pour pouvoir être traités avec un médicament générique, à un coût raisonnable...

Commentaire : C'est tout le système des droits de propriété intellectuelle mis en place par l'OMC en 1994 avec l'accord ADPIC qui est mis en cause par cette victoire sud-africaine. Un accord qui prétend privatiser (rentabiliser)tous les savoirs à coups de brevets et autorise des politiques tarifaires fixées en fonction du rapport de force international, tandis que de l'opinion publique internationale émerge au contraire une 'écologie de la connaissance' défendant l'idée d'un domaine public de l'information libre et gratuit, d'un 'bien public mondial' irréductible. Mais combattre le sida demandera encore bien des efforts. Les pays du Sud devront définir leur politique de soins : production ou importation de médicaments ? Génériques ou molécules sous brevet ?

Pour résoudre le problème de l'accès aux médicaments des pays pauvres, l'économiste Jeffrey Sachs (université de Harvard)propose la création d'un fonds international sous la tutelle de l'OMS et de l'ONUSIDA, alimenté par les pays riches et des donateurs privés. Ce fonds achèterait en gros des molécules sous brevet afin d'abaisser les coûts, sans que le système même soit remis en cause dans sa gestion de la crise sanitaire. Les firmes se trouveraient ainsi relégitimées dans leur 'propriété' sur les médicaments ; bref, rien ne changerait fondamentalement.

Mais après Prétoria, il faut que d'autres propositions, sur la base d'un droit à la santé pour tous et d'une solidarité internationale en matière de santé, émergent car si une bataille a été gagnée, la 'guerre sanitaire' n'est pas terminée...

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