construire une parole publique sur le "vivre ensemble"
Par Boureima Ouedraogo (Ouagadougou, avril 2005)
Au Burkina Faso comme ailleurs en Afrique de l’Ouest, la question de la décentralisation a d’abord été posée en termes politiques. Il s’est agi dans un premier temps de mettre en mouvement la plus grande réforme institutionnelle depuis l’indépendance : celle de l’installation de pouvoirs politiques locaux.
L’enjeu principal aujourd’hui n’est pas de l’ordre de la légitimité politique. Car, si la décentralisation est un fait politique accepté et avalisé par le gouvernement et par le pouvoir législatif, elle n’est pas encore citoyenne, elle n’est pas encore entrée dans la vie et les mœurs des citoyens. Aborder cette question revient à poser celle du développement local. Si aux yeux des populations, les nouvelles collectivités n’agissent pas positivement sur leur cadre de vie et de travail, sur leurs revenus, sur leur éducation, sur leur santé, alors elles jugeront inutiles la construction politique de la décentralisation. En effet, si la décentralisation doit reproduire les dysfonctionnements, les systèmes d’exclusions et de dérives de toutes sortes, la mauvaise gestion des personnels et des ressources publics à l’échelle des collectivités locales, elle aura manqué son but. Les collectivités connaîtront très vite la même crise de légitimité que l’Etat central.
Conscients de cet état de fait, un certain nombre de compétences du monde politique, de la recherche et du développement, du Nord comme du Sud, ont décidé de s’associer "pour aider les décideurs à tout niveau dans leur rôle de régulation des actions et initiatives décentralisatrices, et pour aider les acteurs du développement local à mieux cerner leur rôle et à investir le champ politique local"
L’ACE/RECIT (Association Construire Ensemble /Laboratoire de Recherche sur les sociétés en Transformation) opte pour une décentralisation refondatrice à travers l’édification de nouvelles cités à partir des manières fondamentalement nouvelles de voir, de penser et d’agir permettant une refondation de l’action politique, économique et sociale, donc une décentralisation refondatrice de l’Etat (à terme) et moteur du développement local. Sa stratégie est bâtie sur le triptyque recherche, action et mutualisation.
Elle part du constat que « la décentralisation "administrative", telle qu’appliquée dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest reste superficielle. Elle n’est pas "arrimée" à une réelle vision et volonté politique de construire avec les principaux acteurs concernés (les collectivités locales et les citoyens de ces collectivités qui apparaissent dans les discours) les grands axes de travail porteurs des changements qu’elle est supposée introduire : instaurer une plus grande "égalité des chances de développement" entre les différente acteurs locaux et régions du territoire; engager un partage effectif des pouvoirs et des moyens pour inciter les communes locales à mettre en valeur leur terroir et à améliorer la fourniture de services de proximité; rendre effectives les collaborations inter-services. » .
Dans le cadre de son programme de lancement au cours de l’année 2004, elle a initié un programme test de construction d’espaces d’interpellation et de dialogue entre acteurs locaux (élus locaux, fournisseurs et usagers de services publics, société civile leaders d’opinion, citoyens lamda) dans la commune de Ouahigouya située à 180 Km au nord de Ouagadougou, et érigée en commune urbaine de plein exercice à l’instar de 39 autres en 1995.
Cette initiative est en fait une réponse à une demande sociale portée par le diocèse de la ville de Ouahigouya à travers la radio Notre dame du Sahel. Concrètement ce programme a consisté à une série d’émissions radiophoniques diffusées sur les 4 radios locales que comptent compte la communes. C’est une campagne radiophonique dénommée « La causerie des bâtisseurs de la cité » et étendue sur dix (10). Elle a couvert la région nord du Burkina, plus précisément la ville de Ouahigouya et ses environs; sa thématique est axée sur les questions de citoyenneté, la gouvernance locale, les rapports à l’espaces et au bien publics.
Au total, un temps d’antenne d’au moins cent quatre vingt huit (188) heures a été consacré aux questions relatives à la citoyenneté à travers cette campagne sur les quatre radios privées de la ville de Ouahigouya. Ce temps de diffusion essentiellement réalisé en langue nationale mooré (comprise par au moins 90% de la population locale) ne prend pas en compte, les traductions, les rediffusions programmées ou sollicitées par les auditeurs.
La campagne avait surtout pour objectif de mieux cerner les éléments qui structurent le contexte sociopolitique : les logiques institutionnelles, les logiques d’acteurs, les cultures professionnelles et les représentations de l’Etat, du public et du privé et d’identifier les types d’actions capables de susciter une forte mobilisation sociale autour d’une vision prospective et collective de la construction du développement locale.
Le contexte général du lancement de ce programme, est marqué par une pauvreté grandissante, accompagnée d’une insécurité permanente qui affine ses moyens et stratégies dans les villes comme dans les campagnes. « Ça ne va pas dans la cité » , « la vie est dure au Faso » , ou pour reprendre une expression (venue de la Côte d’Ivoire) devenue populaire au Burkina « les gens n’aiment pas les gens » . Et pourtant les gens veulent et doivent survivre et ensemble.
« Ouahigouya et ses environs offrent à l’observation un espace social très contrasté où se mêlent les signes d’un environnement physique dur et rude, mais également des situations sociales de mauvais fonctionnement du «vivre ensemble» ; c’est ce deuxième aspect qui nous a interpellé avec plus d’acuité ; « ça ne va pas » , comme on le dit, et comme on peut le constater à Ouahigouya ; sur quoi porte le « mal vivre ensemble à Ouahigouya ? » . Et quels aspects de la citoyenneté expriment ce « mal vivre ensemble » à Ouahigouya » ?
Mais comment parvenir à mobiliser des acteurs sociaux aux perceptions, aux stratégies de survie et/ou d’accumulation, aux expériences et aux intérêts divers et parfois antagoniques ?
« La causerie des bâtisseurs de la cité » se veut donc à la fois un moyen d’action pratique sur le terrain et un cadre de réflexion théorique sur la cité et son fonctionnement. L’initiative de la campagne est née du constat de l’insuffisance (sinon de l’absence) de dialogue entre acteurs de la cité. Or la démocratie a besoin non seulement de débats, mais surtout d’un équilibre en des pouvoirs et des contre-pouvoirs. Et le fait que la campagne émane d’une demande sociale portée par une institution qui a un fort ancrage dans la commune de Ouahigouya, témoigne de l’existence réelle du besoin. Mieux cette demande a fait l’objet d’une réflexion interne à ACE-RECIT et de constats (étude) de terrain pour définir les conditions jugées les meilleures pour l’expression d’une parole publique relative à la construction citoyenne, la qualité et l’équité des services publics et la démocratisation de la gouvernance.
Au terme de dix mois de campagne radiophonique, la causerie des bâtisseur de la cité, en attentant l’évaluation finale en cours, a produits des résultats forts intéressants. En lançant l’initiative, l’on ne se faisait pas d’illusions quant à la possibilité de provoquer des changements sociaux à grande échelle.
L’on espérait surtout permettre : à ceux qui n’avaient pas l’habitude de prendre la parole de le faire et à ceux qui sont mandatés pour gérer la collectivité de satisfaire à l’obligation de compte rendu. Dans le même temps l’on ouvrait des espaces d’interpellation, de dialogue et de réflexions autour du devenir de la cité.
Les dynamiques et la créativité locales ont été mises en exergue et des pistes d’action d’appui et d’accompagnement des différents acteurs sont en cours d’élaboration, notamment des sessions de formation, animations et causerie autour de la construction de la cité et les services qu’elle offre à ses membres.
Le programme sera reconduit et étendu à deux autres communes avec en appui un campagne d’animation et dialogue entres acteurs locaux.