Le conflit entre la coutume, la loi et les textes de décentralisation pour organiser le domaine national au Sénégal
Par BA, Pape Mamadou (août 2003)
La loi sur le domaine national a été adoptée en 1964. Elle a supprimé les droits coutumiers sur la terre. Cette disposition a eu pour effet de remettre en cause les propriétés collectives et individuelles antérieures au vote de cette loi. Par conséquent, ces terres tombaient dans le domaine national et devenaient propriétés de la Nation.
Sur les domaines fonciers familiaux et lignagers, les familles n’ont plus qu’un droit d’affectation, transmissible aux ayants droits mais pouvant être remis en cause à tout moment par l’Etat. D’autres terres sont gérées par la communauté rurale. Elles sont exploitées collectivement et peuvent être affectées à des demandeurs pour leur exploitation. Il s’agit des terres non défrichées, des zones de pâturages de cueillette et de coupe de bois, des mares, des rivières, et des zones impropres à la culture.
Le but de cette loi, au moment de son vote en 1964 était de créer les conditions d’une mise en valeur des terres en luttant contre l’exploitation dont sont victimes les paysans de la part des grands détenteurs fonciers. Seulement, les critiques formulées contre ce texte portent sur le fait que les modalités de son application n’ont jamais été clairement définies. Il en est ainsi de la notion de mise en valeur qui est un des critères d’attribution de terres du domaine national.
L’inexistence d’un plan d’occupation et d’aménagement, le manque de moyens matériels sont autant d’obstacles à la bonne application de cette loi. Cette loi a aussi buté sur les réticences des populations. Les ruraux perçoivent cette loi comme une dépréciation et une remise en cause de leurs traditions.
Les sentiments d’insécurité et d’incertitude nés de ce rejet n’ont pas favorisé l’investissement sur des terres litigieuses. En 1996, l’Etat adopte un document de base en vue d’une réforme du domaine national. Il s’agit du plan d’action foncier du Sénégal (.) Le diagnostic fait, ce plan d’action propose trois options : Le maintien du statu quo, l’option libérale de privatisation des terres et l’option mixte.
L’inquiétude des paysans, à l’époque, reposait sur le développement d’une agriculture basée sur l’entreprenariat agricole au détriment des traditionnelles exploitations familiales. Cette option impliquait, selon le monde rural, la possibilité de voir les paysans dépossédés par des exploitants plus riches. Les mêmes préoccupations restent valables aujourd’hui. Les masses paysannes proposent que les terres du domaine national, attribuées à des familles ou à des individus, relèvent désormais du droit coutumier. Dans ce cas, les communautés rurales ne pourront plus les reprendre pour les affecter à d’autres exploitants. En revanche, elles pourront effectuer le contrôle nécessaire. Et en cas de reprise pour utilité publique des indemnités seraient payées à l’exploitant. Ces détenteurs de terre en vertu du droit coutumier pourraient louer ou céder ces champs.
La loi sur le domaine national se fixe comme objectif de lutter contre l’exploitation dont sont victimes les paysans. Elle dispose que les familles ont un droit d’affectation des terres. Censée protéger les intérêts des paysans, la loi sur le domaine national est unanimement réprouvée par le monde rural. Et à l’instar des textes de lois de la décentralisation, les lois sur le régime foncier sont en contradiction avec les réalités et les aspirations des populations. Les spécificités sociologiques doivent être le point de départ de la législation sinon des écarts et des dysfonctionnements subsisteront toujours. Par exemple la loi sur le domaine national ne permettait pas que les terres soient vendues ou soient louées alors qu’en application des lois coutumières, en cas de décès, les héritiers auraient pu prétendre à un droit de succession automatiquement.
Il faut tenir compte du droit coutumier mieux connus des masses paysannes et par conséquent plus légitime. Et comme l’a dit le président de l’association des présidents de communauté rurale " la meilleure loi, c’est celle là qui est la connue".