Le volontaire et le vacataire dans le système éducatif sénégalais

les finalités de l’éducation à l’épreuve du quota sécuritaire

Vers les années 1990, l’Etat du Sénégal initia un type de recrutements d’enseignants appelés volontaires ou vacataires de l’éducation et ce, pour pallier le déficit de personnels. Cette expérience visant à assurer un taux optimal de scolarisation est a priori fort louable. D’autant que l’accès à l’instruction et à l’éducation de base est un droit, voire un devoir consacré par la constitution et les textes législatifs du pays. Mais, ces enseignants, démunis de compétences et d’outils pédagogiques et souvent livrés à eux-mêmes, sont-ils enclins à atteindre les objectifs et finalités définis par les recommandations des Etats généraux de l’Education et la Loi d’orientation ? C’est-à-dire former, « un citoyen averti, responsable, respectueux de la nation et capable de participer au développement de son pays ».

Qui sont les volontaires et les vacataires ?

Au hasard d’une promenade dans le quartier, une conversation anodine de jeunes regroupés à la faveur d’une partie de thé attire notre attention.

Quelqu’un s’exclame : « Les gars, vous savez que Doudou est devenu volontaire. Il est même affecté quelque part au Saloum »

Et un autre de répliquer : « Oh ! mon ami Bab’s est peut être plus chanceux. Il est même parvenu à se faire professeur dans un établissement public de la place. Finis ses soucis de se faire recaler de nouveau à la fac ! »

Un troisième intervenant X boucle la partie : « Et si Dieu faisait en sorte que je fasse partie de ces heureux élus choisis comme enseignant et sans concours ! Car, pour ma part, il n’est plus question de me présenter à un quelconque examen. Tellement j’ai désappris, après tant d’années de débrouillardise et de quête de visa de sortie sans succès ! »

Et parmi nous, un enseignant chevronné explique que Doudou est un volontaire. A ce titre, il a vocation à enseigner dans des écoles élémentaires. Pour prétendre à cette fonction, il faut être âgé de 35 ans au plus et être titulaire d’un Brevet ou diplôme équivalent et peu importe la date d’obtention de ces diplômes !

Le chanceux Bab’s est un vacataire. Il est recruté pour servir dans l’enseignement moyen secondaire. Le diplôme minimal requis est le baccalauréat.

Comment sont-ils recrutés ?

Doudou est recruté à l’issu d’un concours sous forme d’un test axé sur une seule discipline : le français.

Bab’s n’a pas eu à passer de concours. Son recrutement s’est effectué sur simple demande en fonction des besoins. Et peut-être avec l’appui d’un parent influent.

Le dernier intervenant X fait allusion aux recrutements circonstanciels et souvent provoqués : le quota sécuritaire. Ces quotas sont alloués à des personnes influentes au détriment des candidats laissés en rade, après un concours stressant, et qui pouvaient pourtant bien constituer une liste d’attente pour un éventuel recrutement plus démocratique, selon l’ordre de mérite.

Puisse donc X appartenir à une famille d’un poids social conséquent ! Si non, sa situation ne changera pas du tout. En effet, ce type de recrutement se fait sur la base de relations partisanes, familiales ou claniques, sans tenir compte des compétences que requiert la fonction d’enseignant : un sacerdoce.

A cet égard, dans ce lot de nouvelles recrues figurent souvent d’anciens chômeurs, des marchands ambulants, des ménagères, etc., ayant déjà exercé des activités informelles pendant plus de 10 ans. Donc une aubaine pour ces nouveaux « maîtres » totalement coupés des préoccupations et des enjeux de l’Ecole !

Comment ces contingents d’enseignants sont-ils formés ?

Le volontaire issu des quotas sécuritaires peut, soit subir une formation, soit aller directement dans les classes, sans aucune initiation pédagogique. En tous les cas, cette formation qui concerne les volontaires recrutés sur concours n’excède pas six (6) mois ! Il est évident que cette formation est sommaire et le maître concerné n’a aucune notion sur la déontologie et l’éthique rattachées à la fonction. Encore moins le vacataire.

Toutefois, un plan de carrière est offert à ces enseignants. Il leur est loisible de passer des concours professionnels correspondant à leur grade pour une éventuelle intégration à la Fonction Publique. Mais peu d’enseignants pourront franchir les mailles du filet, car la formation continuée ne semble pas être suffisamment assurée. Et surtout pour le maître du « quota sécuritaire » qui traîne un lourd passif. Et pendant ce temps, des générations d’élèves auront déjà fait les frais de longs moments d’apprentissage sur le tas d’une profession par des « maîtres», pourtant si enviés par l’intervenant X en quête perpétuelle de poste budgétaire.

Quels sont les effets générés par ce système ?

Comme suite aux explications de notre enseignant avisé, nous sommes tous fondés maintenant à comprendre et à dresser, nous-mêmes parents d’élèves, ces différents maux, conséquences de ce qui précède :

 la surcharge d’effectifs dans les classes avec enseignement à double flux ;

 le manque de motivation des maîtres ;

 la faiblesse généralisée du niveau ;

 la déperdition scolaire ;

 des atteintes aux mœurs scolaires : il nous est revenu que certains enseignants s’évertuaient même à distribuer des notes de complaisance à des élèves filles et uniquement pour la beauté de leurs yeux. Ce qui a amené des esprits critiques à qualifier ces notes de «MST» (moyennes sexuellement transmissibles). La comparaison n’est pas fortuite ; elle rappelle les MST (Maladies sexuellement Transmissibles) ; elle illustre parfaitement le caractère dégradant de ces pratiques ;

 un système d’évaluation approximatif et défaillant ;

 une tendance à la privatisation du service public (cours particuliers effectués par les maîtres et les professeurs) ;

 des troubles scolaires (grèves à répétition, …)

 des inscriptions moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, en cachette.

 

Et que dire du service public dans tout cela ?

Le parent frappé de plein fouet par la crise économique trouve un raccourci dans un tel système dévoyé : au lieu de s’acquitter des frais de scolarité dans une structure privée, il lui est alors plus profitable de « caser » son enfant moyennant une contribution en nature ou en espèce à la mesure de ses moyens au profit d’un personnel enseignant indélicat. Quand bien même ces « services rendus » seraient gratuits, que dire du parent ne disposant pas d’appui, donc exclu de ces privilèges ?

Beaucoup de titulaires du parchemin requis, à l’exemple du prétendant X, souhaitent volontiers obtenir un poste dans le quota sécuritaire. Mais, faute d’appui classique, leurs vœux ne seront sûrement pas exhaussés. Aussi, côtoient-ils quotidiennement d’autres plus chanceux tout en ruminant leur frustration. Ils ne rêvent alors que d’un service public plus neutre, impersonnel, équitable, inclusif, assurant l’intérêt général bien compris.

Commentaires

Malgré la progression du taux de scolarisation, la qualité des apprentissages est sérieusement entamée, notamment du fait du type de recrutement ainsi décrié. Dès lors, la réforme du curriculum (objectifs et finalités) de l’Ecole devrait être repensée eu égard au recrutement et à l’encadrement du personnel enseignant.

Le principe d’égalité des chances des élèves est ainsi sacrifié sur l’autel des pratiques illégitimes (cours particuliers, inscriptions d’élèves moyennant argent, favoritisme dans les évaluations scolaires).

L’espace scolaire public qui devrait être un creuset d’expérimentation de programmes transversaux (citoyenneté, environnement, gestion transparente de la chose publique, etc.) tend à devenir, si l’on n’y prend pas garde, un champ clos de discrimination, de passe-droits et de prévarication.

Notes

Les Etats généraux de l’Education sont des assises sur l’Ecole nouvelle organisées à Dakar en 1981.

La loi d’orientation 91 -22 du 16 février 1991 définit le profil du nouveau type d’homme à promouvoir à travers l’éducation.

MST (moyennes sexuellement transmissibles), c’est une expression galvaudée de nos jours par les rappeurs et même par certains élèves.

Fonction Publique : ministère de tutelle de tous les agents et fonctionnaires des secteurs publics de l’Etat.

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