Règlement d’un cas de transaction foncière prohibée
Par BADIANE, Babacar, DRAME, Mamadou (Nioro du Rip, février 2008)
Au Sénégal, la question foncière constitue une problématique de taille avec comme enjeu majeur la confrontation de deux droits : celui traditionnel largement ancré dans les mœurs et coutumes des populations et celui moderne régi par des textes législatifs et réglementaires. Avec la décentralisation, les collectivités locales se sont vues transmis neuf (9) domaines de compétence dont le foncier.
C’est dans ce cadre que le village de Keur Aly Diango, situé dans la communauté rurale de Kayemor, département de Nioro du Rip, région de Kaolack, fut le théâtre d’un cas de conflit sur le foncier en juin 2004.
Tout a commencé au moment où Monsieur RK, par ailleurs détenteur de terres, décida de déménager de Keur Aly Diango à Touba. Pour des raisons liées à ses frais de transport, RK « vendit ses terres de 6ha » à deux personnes du même village. Telle fut grande la surprise de ces nouveaux « propriétaires » quand le chef de village leur signifia que ces terres faisaient partie de son héritage car, elles avaient été affectées au père de RK par son père, chef du village à cette époque-là. Le chef du village de keur Aly Diango est, au-delà de sa légitimité socioculturelle de fait, détenteur d’un pouvoir économique considérable à l’échelle communautaire. Et pour cause, il est un grand producteur agricole. Tout ceci s’est déroulé au moment où les nouveaux propriétaires s’apprêtaient à exploiter les terres. Le Conseil rural fut alors saisi par le chef du village en vue de récupérer son « héritage ». Le président du conseil rural, accompagné d’un conseiller rural, se rendit chez le chef du village pour éviter une confrontation ouverte au niveau communautaire. Ainsi, il proposa au chef du village une alternative : soit rembourser la somme aux nouveaux propriétaires pour récupérer ses terres, soit laisser l’exploitation des terres à ces derniers pour la saison en cours. Proposition acceptée par les deux autres mais rejetée par le chef du village qui amena, en désespoir de cause, le conseil rural à suspendre ces terres la même année. Au moment du conflit, le conseil rural, appuyé par SYMBIOSE avait bénéficié de plusieurs formations sur la gestion du foncier dont une tournée de sensibilisation sur les modalités d’accès aux terres.
Par le truchement de cette formation, la situation s’accentua au moment où O.N, par ailleurs petit-fils et berger pour cause de manque de terres, introduisit une requête sur la base du droit moderne sur le foncier dévolu aux Collectivités Locales pour détenir le droit d’exploitation. Au terme la réunion du conseil rural, la sentence fut prononcée : d’abord, les soi-disant propriétaires furent éliminés de la procédure d’affectation pour cause de transaction illégale ; ensuite, l’argument fondant sur le droit d’héritage a été très vite balayé par les dispositions de la loi. Enfin, le conseil après avoir statué sur la requête de O.N, décida de lui affecter les 6ha de terre le 12 février 2005.
Telle se présente l’issue de cette affaire. En somme, une décision non-conformiste et « révolutionnaire » qui a surpris beaucoup de gens par son caractère inédit et par sa nature en parfaite adéquation avec l’esprit et la lettre des textes sur la décentralisation.
Au Sénégal, comme dans beaucoup de pays d’Afrique, règne souvent une méconnaissance, voire une non- appropriation des lois modernes, telle que celle relative au domaine national du fait du nombre élevé d’illettrés en français. Le cas ci-évoqué renseigne sur deux écueils de taille : d’une part, personne n’a le droit d’opérer une transaction sur le foncier en dehors des instances légales reconnues, d’autre part, l’héritage des terres n’est pas automatique comme le suppose la plupart des gens. Ce qui, en dernière analyse, pose la lancinante question de l’articulation entre le droit positif et la réalité socioculturelle du monde rural. En clair, les populations vivent sur la base d’un droit traditionnel qui, à bien des égards, se révèle antinomique aux textes modernes en vigueur.
Il reste que les opportunités offertes par la loi permettent de régler des abus de ce genre. Car, sous prétexte du droit coutumier, une famille peut bien se retrouver avec une superficie exagérée de terres d’une communauté rurale au détriment du grand nombre. Ce qui crée un certain déséquilibre pouvant engendrer de conflits de même nature que celui précité. Il n’en est pas moins vrai que la pertinence d’une loi réside dans son degré d’appropriation par les populations ; en termes simples, dans sa capacité d’anticipation pour prévenir les conflits. D’où la nécessité de la prise en compte de la sensibilisation, la traduction des textes dans les langues nationales, la vulgarisation à travers les médias pluriels par l’état et ses démembrements.
Saloum : nom d’une vaste région du Sénégal avant les réformes administratives des années 1970 ; nom hérité d’un royaume traditionnel de l’époque précoloniale.
SYMBIOSE est une organisation locale d’appui au développement basée à Nioro, chef-lieu du département.
PRIZ : C’EST un programme de renforcement des capacités institutionnelles de la zone.