les autorités et institutions traditionnelles parents pauvres de la Nation

Si la mise en place des communes constitue une réelle possibilité de réponse aux aspirations profondes de la majorité de la population, il ne fallait pas ignorer tous les dangers qui pouvaient menacer le processus de décentralisation et de démocratisation.

La perception du processus de décentralisation par les autorités et institutions traditionnelles ne pouvait se faire dans un premier temps que par les prismes de ce qu’ont été les différentes relations entre pouvoirs traditionnels depuis la colonisation.

Un bref rappel de la nature et d l’évolution de ces relations permet de saisir le fond des sentiments des uns et des autres.

La conquête coloniale ne fut une réalité qu’à partir du moment où les pouvoirs traditionnels ont été complètement écrasés et soumis par les armes.

L’installation du pouvoir colonial ne pouvait se faire, devenir effectif qu’après l’accentuation de la division et de la désorganisation des sociétés traditionnelles. Il a fallu ensuite briser le schéma traditionnel du pouvoir autochtone par l’humiliation et l’emprisonnement de ses représentants.

La collaboration pratiquée par certains chefs traditionnels avec l’occupant colonial eut pour conséquence de les décrédibiliser ( ?) aux yeux des populations.

Les derniers efforts de la colonisation furent de superposer aux structures traditionnelles un mode de gestion qui ne signifiait rien d’autre que la programmation de leur extinction.

La scolarisation des fils d’otage pour servir d’intermédiaires acheve de mettre un système en place.

La première république décida de la suppression pure et simple des autorités et institutions traditionnelles. Elles furent considérées par le régime socialisant de l’époque comme le dernier bastion de l’obscurantisme et de la réaction.

La deuxième république n’accorda guère d’importance aux autorités et institutions traditionnelles. Ce qui aggrava, avec le temps, leur situation de marginalisation et de laissés pour compte.

Enfin de compte les autorités traditionnelles sont apparues comme les parents pauvres de la nation. Il fallait les écraser, les écarter et les mépriser pour construire et moderniser la Nation. La problématique de leur insertion est d’abord identitaire et humaine. Le climat psychologique de la rencontre ne peut être alors déterminé que par la méfiance et la suspicion. Il est sensible et délicat.

Les autorités et institutions traditionnelles restent efficaces à cause de l’insignifiance des transformations subies par les réalités des campagnes. Leurs méthodes restent encore adaptées à l’environnement immédiat.

Les villages et les fractions restent les derniers carrés laissés à l’exercice officiel des pouvoirs traditionnels.

C’est un monde dont le soubassement a été constitué et consolidé historiquement et qui, à un moment donné, a brutalement rencontré une culture qui ne tient pas compte de la relativité culturelle et du fait de civilisation. Elle l’a dévié de sa trajectoire . Les autorités traditionnelles contrôlent cependant les assises culturelles de la Nation.

Toutes les institutions traditionnelles que l’on peut rencontrer au Mali tirent leur nature et leurs valeurs culturelles communes d’organisations sociales fondées sur des économies agraires et pastorales. Certaines valeurs culturelles, les plus positives et les plus solidement ancrées, échappent au temps.

L’espace politique des institutions traditionnelles constitue un prolongement de l’organisation de la parenté. Cet espace est fondé sur des conventions et des convenances.

Les sociétés traditionnelles sont loin d’être des sociétés égalitaires et unanimistes, mais au niveau institutionnel elles sont parvenues à inventer des espaces politiques par l’intégration et la ritualisation des conflits en n’excluant aucun membre de la société.

D’autre part, les sociétés traditionnelles sont parvenus à intégrer le pourvoir et le contre pouvoir dans le même espace à partir de la double structuration des institutions.

L’autorité au niveau de toutes les institutions est contrôlée et orientée. Le fonctionnement de toutes les institutions traditionnelles au Mali croise le principe de la stabilité et celui du mouvement.

Le principe vertical est celui fondé sur l’hérédité de la charge doublée du principe de primogéniture qui fonde le pouvoir de la gérontocratie.

Le principe horizontal est celui qui conditionne le mouvement et l’intégration. Il est celui qui conditionne la participation de tous dans la prise de décisions importantes. C’est ce principe qui constitue le premier facteur de la mobilisation sociale. Le processus de prise de décision constitue la colonne vertébrale des institutions traditionnelles. Ce processus fonctionne sur la prise de parole qui inscrit la volonté de participation à la décision à la volonté finale.

Le chef à l’intérieur du conseil est celui qui est élu par un collège et qui est mandaté pour exécuter les décisions.

La perte du pouvoir d’un chef traditionnel est liée à sa faillite par rapport à sa mission définie par l’assemblée de la communauté.

A partir de leur fonctionnement, on peut considérer les institutions traditionnelles dans leur essence comme étant des démocraties participatives et populaires, directives et non majoritaires.

Les institutions traditionnelles à la base sont des structures simples, autonomes, mais le plus essentiel, le plus important à leur niveau réside dans leurs mécanismes de coordination, d’interrelation, cette ’’colle’’ lie les différentes institutions entre elles.

Cette liaison se fait de la plus petite des institutions à la plus grande. De la famille au clan. Du clan à l’empire, de la tribu à la confédération les mêmes informations sont partagées à partir de la même culture, des mêmes valeurs de civilisation et des mêmes intérêts.

Le fait culturel est un instrument dont on ne peut se passer.

Pour développer les capacités de la population et des élus pour l’exercice de la citoyenneté locale, il est plus que jamais clair que seul le modèle de société des institutions traditionnelles peut apporter le salut à la nation malienne.

Le problème majeur de la démocratie au Mali est lié à la faiblesse de son ancrage social, historique, culturel et économique. Il s’inspire d’un système politique qui a fait ses preuves ailleurs dont il assimile et reproduit les techniques institutionnelles, administratives, juridiques et les moyens pour tenter d’asseoir une société moderne en ajustant empiriquement certains rouages hélas pas très huilés et adapté.

A partir de ces deux constats majeurs sur les autorités traditionnelles et le contexte démocratique, on peut prévoir des difficultés réelles pour la cohabitation des autorités traditionnelles et des autorités démocratiques sur le même espace communal.

Les sources des deux légitimités sont de nature différente.

La légitimité traditionnelle liée au sang, aux pactes de réciprocité demeure fortement ancrée dans les traditions du terroir. Elle se fonde sur des mécanismes solides et souples rôdés par le temps. Le principe de compétition, de multipartisme, d’égalité des droits, de liberté d’expression s’inscrit au cœur du système qui fonde les légitimités modernes. Ce principe est étranger à la mentalité des institutions traditionnelles. Les institutions traditionnelles ignorent culturellement les mécanismes du vote démocratique. C’est-à-dire leur sens, leurs significations, leurs tenants et leurs aboutissants. Le fonctionnement de la démocratie moderne ne s’inscrit pas dans leurs expériences historiques même si le processus de décentralisation lève un obstacle majeur qui est celui des élus issus des localités elles-mêmes.

D’une façon générale, les autorités traditionnelles sont ignorantes du système social, politique et économique dont les assises reposent sur la citoyenneté, la démocratie, le développement.

L’attente des autorités traditionnelles par rapport au processus de décentralisation ne se situe pas au niveau d’un bouleversement du fonctionnement, ni du dédoublement des institutions traditionnelles, mais d’une direction à trouver ensemble dans la construction d’un avenir pour tous à partir du consensus, du partage, du dialogue et de la négociation.

Les autorités traditionnelles sont en attente d’un partenariat qu’elles le pensent en termes de participation réelle et effective dans la prise de décisions concernant leurs terroirs.

Gouvernance légitime
Refonder le vivre ensemble et l’Etat
Construire la Paix et la Sécurité
Promouvoir les Territoires et le Développement

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