Même si ces régions n’ont pas à gérer un passif colonial en matière de répartition des terres, les petits paysans souffrent souvent d’une absence de sécurité foncière
Par MFOU'OU, Jeanot (2002)
La situation dans cette partie de l’Afrique est très différente de celle dans le Sud de l’Afrique, Zimbabwe et Afrique du Sud ou en Amérique latine où il y a eu une forte colonisation des terres dépossédant les petits paysans et indigènes de leurs terres. Si l’on s’arrêtait au concept classique de la réforme agraire comme action de redistribution des terres aux plus pauvres pour des besoins d’agriculture suite à la colonisation des terres, on dirait qu’il n’y a pas de problèmes dans ce domaine en Afrique centrale et occidentale. Ce serait aller très vite en besogne car il existe bien d’autres situations où les terres cultivables sont en question. Voici des cas concrets de conflits, identifiés sur le terrain mais que l’on retrouve souvent :
1/L’expropriation pour cause d’"utilité publique"
L’Etat dépossède légalement tout le monde de ses terres pour la réalisation de gros investissements publics. Tel a été le cas pour la construction de l’aéroport international de Yaoundé Nsimalen au Cameroun où un conflit a opposé les habitants de la localité et le gouvernement parce que celui-ci ne les a pas dédommagés. Dans ce même pays et pour la même raison, des populations se sont opposées à la pose de la première pierre par le Premier Ministre pour la construction d’un hopital pédiatrique dans une banlieue de Yaoundé d’où ils avaient été expropriés.
2/ La superposition des lois et réglements sur le foncier
Dans tous les pays coexistent le droit traditionnel et coutumier, le droit religieux et le droit moderne d’inspiration française ou anglaise selon le passé de chaque pays. En principe, en cas de conflit, le droit moderne prime sur celui de la religion ou de la coutume mais dans la pratique, le religieux, le traditionnel, l’emportent très souvent. L’esprit de ces différentes lois n’est pas le même et cela crée un problème sérieux dans la gestion du foncier.
3/ La vente des terres
De plus en plus souvent, les riches achètent des terres et les immatriculent, ce qui dépossède à jamais les populations. Ces nouveaux riches, hommes d’affaires ou politiques, investissent dans l’agro-business, achetant de grands espaces en milieu rural et transformant parfois les petits paysans en ouvriers agricoles sur leurs propres terres. A une époque, presque tous les gouvernements africains ont créé ou favorisé la création de sociétés agro-industrielles pour le développement de certaines cultures telle la canne à sucre, l’hévéa, le palmier à huile, etc. L’installation de ces sociétés s’est faite très souvent sur plusieurs milliers d’hectares de terres cultivables et très fertiles qui appartenaient aux populations autochtones.
4/ Les conflits entre agriculteurs et éleveurs
Dans toutes les zones où l’élevage est très développé, il y a de fréquents conflits entre agriculteurs et éleveurs. Les premiers se plaignent souvent de la destruction de leurs récoltes par les seconds qui y viennent avec leurs troupeaux. Par endroits, ces conflits entraînent des pertes en vie humaine.
5/Les conflits entre migrants et autochtones
Dans certaines régions du Cameroun, il y a surpopulation alors que dans d’autres il y a peu de populations par rapport aux terres disponibles. Il y a donc des personnes qui quittent les premières et migrent vers les deuxièmes. Il peut s’agir d’actions du gouvernement (ainsi le gouvernement a lancé une grosse opération de création de villages pionniers pour installer des familles venues de zones surpeuplées sur de nouveaux espaces avec des parcelles pour pratiquer l’agriculture et y vivre. Mais il s’agissait de terres qui appartenaient à des autochtones de ces sites) ; ou de la société civile. Ces intrusions ne se passent pas toujours bien, les habitants d’origine finissant par revendiquer leurs terres.
6/Les conflits autour des espaces protégés
Les défenseurs et promoteurs de l’environnement ont créé des réserves naturelles pour sauvegarder les espèces végétales et animales en danger. Malheureusement, il y a toujours des populations autochtones tout autour de ces vastes espaces. Au début, les populations exploitent les ressources sur les espaces non protégés, mais au fur et à mesure de leur rarefaction, elles n’hésitent pas à rentrer dans ceux protégés pour y chasser, cela engendre souvent des conflits très graves avec les administrations.
7/Les conflits entre exploitants forestiers et populations autochtones
La fin de la conférence de Rio a sonné le glas de la coupe accélérée du bois dans les pays forestiers. Les gouvernements essayent de mettre en place des législations et réglementations qui ne sont malheureusement pas toujours respectées, notamment les cahiers des charges à remplir par les exploitants forestiers. Cela entraîne des réactions fortes des populations qui s’opposent à la coupe du bois. Malheureusement ils n’ont pas toujours gain de cause parce que mal organisées ou parce que les autorités publiques prennent fait et cause pour ces forces de l’argent que sont les exploitants forestiers.
8/ L’opposition entre le droit d’usage et le droit de propriété
Dans les temps anciens, avant l’avènement de l’Etat moderne, ceux qui travaillaient la terre et l’exploitaient en étaient les légitimes propriétaires. Aujourd’hui, le droit de propriété sur les terres fait appel à l’immatriculation dont les procédures ne sont pas à la portée des couches marginalisées. Dans certains pays, il est exigé qu’on ait mis en valeur ses terres en y investissant, faute de quoi on peut s’en trouver dépossédé. Cela est d’autant plus vrai qu’en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique, on évalue les investissements réalisés sur les terres objets de l’expropriation et c’est surtout en fonction de cela qu’on indemnise.
9/ L’urbanisation des villes est une menace pour les autochtones
L’extension galopante des villes se fait par aborption des villages environnants, entraînant l’expropriation des ruraux. Dans certains cas ils sont recasés ailleurs, parfois ils sont dédommmagés en espèces, mais cela ne se passe pas toujours comme ils le souhaitent. Au contraire il existe aujourd’hui des conflits vieux de plusieurs années entre ces populations et les autorités.
Les stratégies mises en oeuvre par la société civile varient d’un pays à l’autre et même d’une région à une autre à l’intérieur d’un même pays et selon les acteurs. Certaines ONG et les églises mettent l’accent sur l’éducation et l’information des populations sur leurs droits en même temps qu’ils essayent de les organiser. Ailleurs, comme au Sénégal dans la région du fleuve, un regroupement de producteurs organisé en fédération de groupements a sollicité des superficies importantes dans le cadre de la réforme du foncier organisée dans le cadre de la décentralisation. A certains endroits, les collectivités locales à travers le Conseil rural exigent d’être associées à la gestion des terres initialement affectées aux grands périmètres hydro-agricoles pour assurer la défense des intérêts des plus petits. Au Ghana et au Cameroun, des ONG jouent la carte de la médiation. Dans certains cas de conflits entre agriculteurs et éleveurs, il a été institué des comités paritaires de
négociation.