Par Camille Amouro (Bénin, novembre 2006)
Le 24 juillet 2006, un ancien ministre des finances du Bénin a été arrêté. L’événement a fait immédiatement coulé beaucoup de salives. La presse et Radio Trottoir l’ont largement relayé. Au cours d’une perquisition, la police aurait découvert chez cet individu l’équivalent de plus de deux cent millions de francs CFA en monnaie locale et en devises ainsi que quatre bidons d’un liquide non encore identifié. Plusieurs versions se sont succédées sans qu’aucune éclaire réellement sur les causes réelles de cette arrestation. Détournement de dénier public, sur la base de la dénonciation anonyme d’un trafiquant de stupéfiant, fouille et prise d’une importante quantité de cocaïne et d’importantes devises, prise d’une poudre blanche en cours d’analyse ainsi qu’une importante somme d’argent, poudre blanche qui serait probablement de la fausse cocaïne, et, enfin, quatre bidons d’un liquide…
Quoi qu’il en soit, l’ancien ministre des finances est arrêté et cet épisode des scandales politico financiers qui alimentent désormais la vie publique béninoise témoignent de l’absence de transparence dans la gestion judiciaire de l’Etat.
Dans une atmosphère de paupérisme généralisé qui coïncide fort curieusement avec le relèvement de la croissance économique, avec une urbanisation d’autant plus criarde qu’elle expose sans hypocrisie les contrastes, avec aussi le train de vie d’une bourgeoisie nouvelle, jeune, dynamique, fonceuse, encore une fois, la grande majorité de la population se résigne dans le salamè . En fait, le Renouveau démocratique béninois a engendré une nouvelle classe de riches, sujette à toute la mythologique actuelle : trafic de drogue, vol et vente d’organes sexuels, assassinats rituels, sacrifices d’éléments corporels, généralement associés à des immunités parlementaires ou à des protections au niveau le plus élevé de l’Etat. C’est que ces nouveaux riches se sont imposés sur la base de relations évidentes ou supposées avec le pouvoir politique et l’on pense qu’ils le contrôlent désormais.
Pour dire les choses rapidement, du point de vue de la gouvernance, il y a aujourd’hui deux Bénin. Il y a l’Etat, que l’on peut assimiler à ce que Levis-Strauss appelle un mot mana, c’est-à-dire un machin des francophones de Cotonou. Et il y a le pays avec ses habitants. La seule relation objective entre les deux, c’est que périodiquement, ces francophones de Cotonou vont payer les gens du pays afin que ces derniers votent pour eux.
On remarquera d’ailleurs que ces votes ne sont basés sur aucun programme. Et pour cause : s’il y avait un programme, c’est qu’il concernerait la gestion de l’Etat, ce qui ne représente rien pour la population. Par ailleurs, même au sein des francophones de Cotonou, les programmes ne peuvent rien signifier dans la mesure où le débat politique n’aborde jamais les questions essentielles d’orientation économique ou de conception culturelle de la société actuelle. Les recettes fiscales représentent plus de quatre-vingt-dix pour cent des recettes budgétaires et aucun débat sérieux n’est mené pour réfléchir sur les moyens de diversifier ces recettes. Huit citoyens sur dix au moins, ignorent qu’ils paient la TVA sur la majorité des produits de consommation. Ils pensent plutôt que l’argent vient des institutions internationales et ne savent pas que l’Etat dépense ce qu’il gagne. Il y a un SMIG, mais plus de la moitié des travailleurs sont payés en dessous et l’ignore d’ailleurs. Dans ces conditions, les gouvernements successifs naviguent à vue et l’ingérence des institutions financières internationales, dans la mesure où elle s’opère au plan macro-économique, ne peut pas tenir compte des besoins réels de la population. L’Etat n’intéresse que les gouvernants, à titre individuel, dans un souci de profit. De temps en temps éclate un scandale sans que l’on comprenne vraiment les tenants et les aboutissants. Quelques arrangements politiques plus loin, ces mêmes scandales se dissipent et l’on parle beaucoup d’impunités sans jamais savoir, de manière précise, par rapport à quel délit.
Un livre ne suffirait pas pour décrire la mal gouvernance au Bénin. Il me semble d’ailleurs qu’à quelques différences près, la situation ne doit guère être fondamentalement différentes dans les autres pays de notre région.
On pense que l’élection de Yayi Boni à la tête du Bénin en mars 2006 est le fait d’éléments objectifs qui ont permis l’émergence d’une vie politique relativement stable, d’un certain nombre de points forts du système, dont le respect aboutit à un certain calme. Le partage équilibré des pouvoirs de la République, la liberté d’association qui entraîne l’existence de plusieurs dizaines de partis politiques, le rôle des médias, la pression des syndicats, le respect des Droits de l’homme, un statut reconnu de l’opposition, bref, tout l’arsenal volontariste d’une ambiance qui suscite la quiétude des Béninois, tout en donnant à l’extérieur une image positive du pays. Réduire l’évolution sociale et politique du Bénin à cela paraît cependant une leurre.
En effet, la stricte majorité des Béninois n’ont jamais été engagés à l’Etat béninois, ne se sont jamais sentis concernés par la gouvernance, ne reconnaissent même pas la « nation béninoise » . Les facteurs psychologiques et politiciens qui aboutissent à l’élection de tel ou tel présidents trouvent leur motivation dans les machines de communication largement soutenues par une puissance financière insoupçonnable.