La Loi sur le Domaine National

Malentendu entre l’état et les paysans sur le statut et la gestion de la terre

Depuis plus de 30 ans, la loi sénégalaise 64-46 du 17 juin 1964 pose un principe intangible : toutes les terres non immatriculées ou dont la propriété n’avait pas été transcrite à la conservation des hypothèques au terme du délai fixé par le législateur, sont considérées d’office comme faisant partie du patrimoine public. Ce sont des biens incessibles et inappropriables, sauf lorsqu’ils font l’objet d’une déclassification selon la procédure prévue par la loi. Cette loi s’inspire en réalité du socialisme africain, une sorte communautarisme rurale développé par Senghor, premier président du Sénégal. Elles cherche à soustraire la terre d’une propriété coutumière qui fait la part belle à certaines grandes familles et à la socialiser.

Cette loi est en porte à faux avec la tradition car la terre est certes un bien économique mais il y a aussi un lien sacré entre l’homme et la terre. Si dans plusieurs cas, elle est inaliénable, elle pouvait néanmoins être louée ou cédée en héritage en cas de décès. Les héritiers prenaient succession automatiquement. C’est ce dispositif multiséculaire que la loi sur le domaine national a cherché à anéantir. Les propriétaires terriens sont conscients que modifier le statut de la terre, c’est bouleverser les rapports sociaux, parce qu’une certaine liaison existe entre la terre, sa fonction et l’activité économique. Ils vont chercher à la paralyser, oeuvre d’autant plus facile que les lois traditionnelles sont mieux connues et mieux acceptées par les populations rurales. En plus, l’état a évité de brusquer les paysans pour faire appliquer cette réforme agraire, qui contrairement à ce qui se passe ailleurs ( Amérique Latine, Asie etc. ), ne découle d’une revendication des paysanne

. Dans certaines zones comme le Fouta ( Vallée du Fleuve Sénégal ) où existent une véritable aristocratie foncière, l’application de cette réforme est potentiellement explosive, l’explosion pourrait embraser toute la vallée c’est à dire le Sénégal, le Mali et la Mauritanie où on retrouve les mêmes familles de part et d’autre de la frontière. Durant la période coloniale, elles s’étaient organisé dans l’Union des Originaires de la Vallée du Fleuve Sénégal ( UGOVAF ) dont l’un des objectifs était la protection de la propriété foncière. La Mauritanie ( au Nord du Sénégal ) qui a franchi le rubicon en distribuant les terres à des promoteurs privées a eu à faire face en 1989 à une crise sanglante.

Les communautés rurales ( des collectivités ) ont eu des difficulté à gérer les terres qui leur ont été confiées par l’état sur la base de cette loi du fait de la coexistence entre cette gestion et celle coutumière. D’ailleurs rapidement les familles propriétaires traditionnelles des terres, en s’engageant dans les rangs du parti politique au pouvoir, s’accaparent par le truchement des élections de la direction des conseils ruraux. Ainsi ils bloquent cette loi qui cherche à les priver d’un pouvoir économique et social. Ces chefs coutumiers, prennent toutes les garanties en s’emparant aussi de la direction locale du parti au pouvoir. Du coups, le parti et le gouvernement sont coincés car continuer la réforme, c’est s’attaquer frontalement aux piliers du partis en milieu rural. Face à cette situation, le gouvernement opte pour sa survie et met du bémol dans ses prétentions de gestionnaire exclusif de la terre. De fait le mode de gestion traditionnel prend le pas sur celui édicté par la

loi sur le domaine national, car "la meilleure loi, c’est celle-là qui est la mieux connue". C’est d’ailleurs ce que reconnaît Aly Lo président de Conseil rural qui, sur des centaines de litiges qui lui ont été soumis n’en a réglé qu’une dizaine, le reste l’ayant été à travers des mécanismes traditionnels donc non reconnues par la loi.

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